Santé : Covid long : une maladie bien installée

Depuis son lancement en août 2021, près de 1.500 personnes ont participé au projet pilote « Covid long » mis en place au Centre hospitalier de Luxembourg (CHL). Mais toutes ne sont pas guéries, et de nombreux pans de la maladie demeurent inconnus, faisant du quotidien un calvaire pour les personnes atteintes des formes les plus sévères.

À ce jour, il n’existe pas de traitement pour le covid long. (© Cottonbro/pexels)

Pour la plupart d’entre nous, le covid-19, c’est (presque) de l’histoire ancienne. Mais pour d’autres, la maladie est un véritable chemin de croix quotidien, dont ils et elles ne voient pas le bout. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 10 à 20 % des personnes ayant contracté le covid-19 souffriraient de l’affection post-covid-19, autrement appelée « covid long », qui se caractérise par une persistance des symptômes au-delà de trois mois après l’infection au coronavirus. Fatigue intense et épuisement aggravé à l’effort, essoufflement, douleurs musculaires, dépression, difficultés d’élocution, problèmes de concentration et de mémoire, « brouillard cérébral »… Plus de 200 symptômes de la maladie ont été identifiés. D’après une étude du Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER) menée en collaboration avec le Luxembourg Institute of Health (LIH) sur des Européen·nes âgé·es de plus de 50 ans, les patient·es ont en moyenne trois symptômes – la fatigue, la toux et l’essoufflement ainsi que les courbatures étant les plus répandus.

Les causes du covid long ne sont pas encore totalement claires, même si plusieurs hypothèses émergent : persistance du coronavirus dans le corps, état inflammatoire au niveau du cerveau, anomalies du microbiote intestinal, inflammation des vaisseaux sanguins… Plusieurs facteurs de risque de développer la maladie ont toutefois déjà été repérés, parmi lesquels le fait d’être une femme – les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes, en particulier les femmes actives d’âge moyen (de 45 à 64 ans) –, la gravité de l’infection au covid-19, le fait de fumer, de souffrir d’autres maladies chroniques, d’avoir des troubles de la santé mentale ou d’être en situation de précarité sociale. À l’inverse, la vaccination semble réduire le risque de déclencher un covid long, même si elle ne l’exclut pas.

Dès 2021, le Luxembourg s’est saisi du problème. Sous l’impulsion de l’ancienne ministre de la Santé, Paulette Lenert, le pays, précurseur, a lancé un projet pilote d’accompagnement des personnes atteintes de covid long, leur proposant une prise en charge pluridisciplinaire. La consultation covid long a ouvert ses portes dès le mois d’août de cette même année. Le ou la patient·e est envoyé·e par son médecin traitant vers ce service du Centre hospitalier de Luxembourg (CHL), dirigé par le Dr Marie-Thérèse Staub. Pour commencer, le Dr Staub et son équipe récupèrent tous les bilans déjà établis (bilans sanguin, thyroïdien, cardiaque, pulmonaire, ainsi que scanners, etc.) et effectuent des tests complémentaires, comme des tests cognitifs. « Il faut vérifier qu’il ne s’agit pas d’une autre maladie. En fait, c’est un diagnostic par élimination, même s’il y a des symptômes très spécifiques, comme une tachycardie inhabituelle à l’effort », explique le Dr Staub. Le ou la patient·e est ensuite orienté·e selon ses symptômes et ses besoins vers l’une ou chacune des structures partenaires : le Rehazenter à Luxembourg, le Domaine thermal de Mondorf ou le Centre hospitalier neuro-psychiatrique (CHNP), à Ettelbruck.

Crash après l’effort

Des patients comme Julia, 43 ans, qui reconnaît souffrir d’une forme peu sévère du covid long, ont vu leur santé s’améliorer à la suite de leur participation à ce programme. « J’allais neuf heures par semaine au Rehazenter faire des exercices physiques ainsi que de l’ergothérapie et de la kinésithérapie. J’ai eu de la chance, car j’ai pu bénéficier d’un arrangement avec mon travail. Les exercices m’ont vraiment fait du bien. Aujourd’hui, j’ai récupéré 85 % de mes capacités », témoigne-t-elle. Un programme de réadaptation à l’effort peut en effet s’avérer efficace. Mais ce n’est pas le cas pour d’autres. « On m’a envoyé au Rehazenter, où je devais faire des exercices trois fois trois heures par semaine pendant quatre semaines, mais j’avais des vertiges après les exercices et je faisais des crashs. Quant à Mondorf, je n’ai pas trouvé que cela m’a été utile… », confie pour sa part Daniel, 47 ans, éducateur sportif jusqu’à ce que la maladie l’empêche d’exercer son métier.

Laura, 35 ans, rapporte elle aussi des crashs systématiques. Le covid long peut en effet exacerber les symptômes post-effort (ESPE) : après un effort physique ou intellectuel, les patients souffrent d’une fatigue particulièrement intense et handicapante, qu’ils appellent « crash ». « Lorsque je faisais les exercices, ça allait. Mais ensuite, il me fallait 12 heures, 24 heures pour m’en remettre. Je ne pouvais absolument plus rien faire du tout. Dans mon cas, le covid long est aussi marqué par un syndrome de fatigue chronique, l’EM/SFC, ce qui est totalement incompatible avec l’exercice. J’ai l’impression de ne pas avoir été prise au sérieux en tant que patiente, et c’est inacceptable. Certains professionnels ont fait preuve d’empathie, ce qui est vraiment important, mais d’autres n’ont pas été très compétents. J’ai donc arrêté le programme du CHL en cours de route, alors que j’étais pleine de bonne volonté », déplore la jeune femme, qui effectue depuis les débuts de sa maladie des recherches approfondies à ce sujet. « Au début, c’est normal que les médecins ne connaissent pas bien cette maladie, mais au bout d’un certain temps, il faut s’informer et continuer à s’éduquer ! Je trouve qu’il y a un manque d’information, de sensibilisation et d’éducation au Luxembourg à ce sujet. On ne tire pas les leçons des erreurs qui ont été commises, il n’y a pas d’amélioration. Ça fait peur pour une prochaine pandémie. En Allemagne, les travaux avancent. »

« On sait que les médecins du Rehazenter sont très exigeant·es et ont tendance à vouloir pousser les patient·es, qui ne l’acceptent pas toujours bien. Nous avons commencé la prise en charge du covid long en août 2021, alors qu’aucun des pays autour n’en avait. Je pense que nous avons accumulé une certaine expérience dans ce domaine et sommes donc au point pour la prise en charge », réagit le Dr Staub. « Dans un contexte international, le projet pilote de suivi médical au Luxembourg est ambitieux et plutôt bon. Il faudrait cependant réévaluer le programme et le réadapter, car, à l’époque, on ne considérait pas le covid long comme une maladie chronique, mais comme une maladie temporaire. Il faudrait davantage proposer une assistance sociale, psychosociale, éducative, familiale… », reconnaît le Dr Charles Benoy, psychothérapeute et coordinateur de recherche clinique au CHNP. « L’autre problème au Luxembourg, c’est qu’il y a peu de recherche scientifique sur les interventions thérapeutiques. En Allemagne, par exemple, plusieurs molécules sont étudiées, qui représentent de potentielles pistes thérapeutiques. Mais ici, ce n’est pas une faute d’ordre politique, c’est un problème de contexte : le Luxembourg est un petit pays. »

Daniel a écrit à la ministre de la Santé, Martine Deprez, pour lui faire part de la nécessité d’améliorer la prise en charge des patient·es atteint·es du covid long. Il suggère notamment la création d’un fonds de soutien spécifique, mais aussi davantage de sensibilisation du personnel administratif amené à traiter avec ces patient·es, afin qu’ils et elles puissent recevoir des réponses à leurs questionnements, mais aussi que les procédures soient appropriées et uniformisées. « Je suis incapable de faire les démarches moi-même. Ma femme m’a aidé, tout comme elle m’a aidé à écrire cette lettre », reconnaît Daniel, qui souffre, comme beaucoup d’autres, d’un brouillard cérébral. « Les échanges administratifs, avec la CNS ou le travail, sont épuisants », confirme également Laura. « Il y a aussi un manque de compréhension et d’adaptation à la maladie. Par exemple, les arrêts de travail n’autorisent des sorties qu’à des horaires spécifiques, et pas n’importe où non plus. Or on est déjà dans un isolement social. Pouvoir sortir un peu, c’est important. De toute façon, on ne risque pas d’aller en discothèque ! »

Risque de suicide

Face à cette maladie handicapante dont ils et elles ignorent quand elle prendra fin – si cela arrive un jour –, plusieurs se tournent vers les médecines alternatives et les médicaments « off-label » (hors indication), c’est-à-dire détournés de leur utilisation première. « Personnellement, j’ai essayé plein de choses. J’en suis à 20.000 euros de ma poche », avoue Daniel. « Ne pas avoir de date limite, quelque chose à quoi s’accrocher, c’est très dur. Et ça l’est aussi pour les proches », confirme Laura.

Mais parfois, le désespoir est trop grand. « Les problèmes financiers, incluant l’invalidité professionnelle, et l’atteinte d’une maladie chronique figurent parmi les facteurs de risque les plus importants en matière de suicide. Or, nombre de patient·es atteint·es de covid long se retrouvent en invalidité et sont confronté·es à la perte de leur travail, donc de leurs revenus, ainsi qu’à la perte d’un environnement social. Il est souvent difficile de connaître le contexte précis d’un suicide, et, à ce jour, j’ignore s’il y a eu un suicide en lien direct avec le covid long au Luxembourg. Mais beaucoup de patient·es du CHNP sont atteint·es de cette maladie. Il y a des personnes qui ne vont pas bien du tout, qui sont dans une misère financière, sociale et familiale », alerte le Dr Benoy.

Depuis l’ouverture de la consultation covid long, 1.452 patient·es ont été suivi·es, dont plus de 60 % de femmes, et 392 ont terminé le parcours. La majorité des patient·es, 646, sont allé·es à Mondorf, 536 au CHNP et 190 au Rehazenter, indique le Dr Staub. « Il y a aujourd’hui beaucoup moins de gens qui ont des symptômes physiques, ils sont plus nombreux à avoir des troubles de la mémoire et de la concentration. En moyenne, le suivi dure environ 18 mois. Certain·es guérissent, mais pour d’autres, la maladie est toujours présente, et il faut apprendre à vivre avec elle. Nous les appelons tous les trois mois pour faire le point », signale-t-elle. Les chiffres divergent concernant le covid long pédiatrique, décrit dès le printemps 2020. « Selon les études, l’incidence irait de 5 % à près de 25 % selon le délai post infection aiguë », font savoir les autorités françaises de santé. « Le plus jeune patient qui nous a été envoyé par un pédiatre était un adolescent de 14 ans », indique le Dr Staub.

« Les cas de covid long sont en tout cas en diminution », affirme la responsable du service consultation covid long. Plusieurs raisons à cela : « D’une part, les gens se font moins tester, mais d’autre part, il y a moins de cas avec les derniers variants, qui développent moins de formes graves ». Pour le Dr Benoy, il s’agirait plutôt d’un plateau. « Il y a moins d’inclusions dans le service qu’il y a deux ans, mais le nombre d’inclusions reste stable sur les derniers mois, et on ne s’attend pas à un arrêt. »

 « C’est vraiment compliqué », Daniel (47 ans)

J’ai eu le covid-19 une première fois en novembre 2021, puis une deuxième fois en septembre 2022. C’est là que ma vie a changé. Au début, je n’avais que des symptômes légers : courbatures, maux de tête… Je ne suis même pas resté les dix jours accordés à la maison, je suis reparti travailler au bout de cinq jours – je suis éducateur sportif à mi-temps auprès d’enfants âgés de 2 à 12 ans. Or, moi qui ai toujours été en forme et en bonne santé, j’ai commencé à faire de l’asthme. Je ressentais une fatigue extrême et je n’arrivais plus à me concentrer, ni à gérer les conflits entre les enfants ou à mettre en place des activités. Je rentrais, je me couchais. J’étais cuit. Je suis allé voir mon médecin généraliste, qui m’a mis en arrêt régulièrement, et au bout de trois mois, il m’a inscrit à la consultation covid long du CHL. J’ai suivi le programme, au cours duquel j’ai d’ailleurs été réinfecté une troisième fois en mars 2023, malgré deux vaccinations contre le virus. Depuis 2022, c’est vraiment compliqué : je me réveille avec une fatigue écrasante, comme si je n’avais pas fermé l’œil de la nuit. Je n’arrive plus à conduire plus de 15 à 30 minutes. Une fois, je suis allé faire des courses et il y avait un détour de 30 minutes. En rentrant, j’étais incapable de les déballer, j’ai dû aller me coucher directement. Je suis obligé de limiter les interactions alors que je suis très sociable. Il m’arrive de voir des amis pour aller déjeuner, mais plus pour dîner, parce que le soir je suis trop fatigué – les symptômes empirent au fur et à mesure que la journée avance. Souvent, je n’arrive même pas à regarder la télé le soir. En plus, mes amis viennent me chercher pour limiter la perte d’énergie de la conduite. La concentration me fait également défaut. Les tâches intellectuelles, même les plus simples, deviennent impossibles. Je suis parfois dans un tel état de brouillard mental que j’ai déjà fait cuire des pâtes sans eau. Je n’ai pas eu de difficultés à faire reconnaître la maladie et à obtenir un « code covid » de la CNS, contrairement à l’une de mes collègues qui a eu le covid long avant moi, car entre-temps les professionnels ont été un peu sensibilisés à ce sujet. Mes arrêts ont été prolongés d’un mois à chaque fois, mais depuis le 16 septembre, je suis sorti de la CNS et j’ai donc perdu automatiquement mon emploi. Je n’ai donc plus de rentrée d’argent, mais heureusement mon épouse travaille. J’ai fait une demande d’invalidité provisoire. Pour m’occuper, je bricole de petites choses, je fais des Lego. Ma femme accepte comme elle peut. Elle porte tout sur ses épaules. Mes filles ont d’abord pleuré, d’autant que nous avons dû annuler nos vacances en famille, puis elles se sont adaptées. Elles m’aident dans de petites tâches quotidiennes, comme vider le lave-vaisselle. J’ai pris en prévention des médicaments pour ne pas sombrer dans la dépression, mais j’ai arrêté, parce que j’essaie de gérer par moi-même. Je dois accepter la situation, même si ce n’est pas toujours évident : je n’ai pas le choix.

« On ne peut pas s’imaginer le degré de fatigue dont il s’agit », Laura (35 ans)

Le 1er novembre 2023, j’ai eu le covid-19 pour la quatrième fois. J’avais des symptômes grippaux, plus du tout d’odorat ni de goût. Puis la fatigue est devenue de plus en plus extrême. Jusqu’à Noël, j’avais des arrêts de travail réguliers. J’ai tout de suite fait le lien entre mes symptômes et mon infection au covid, car je n’avais jamais eu d’antécédents médicaux et je connais bien mon corps, pratiquant le yoga depuis toute petite. Après les vacances de Noël, j’ai repris mon travail d’enseignante, mais là, en plus des symptômes habituels comme la toux ou la fièvre, j’ai commencé à avoir des vertiges et à être très vite essoufflée. J’avais – et j’ai toujours – des douleurs musculaires, nerveuses et articulaires. En mars, j’ai commencé le programme covid long au CHL. Mais j’ai fini par tout laisser tomber, sauf le suivi psychologique, parce que ça ne me convenait pas du tout. Avant d’avoir eu la maladie, on ne peut pas s’imaginer le degré de fatigue dont il s’agit. Mon corps ne récupère jamais, en fait. Cela a eu de graves conséquences sur ma vie. J’ai notamment dû me séparer de mon chien, car il m’était devenu impossible de m’en occuper et de le promener : aujourd’hui, les jours où ça va, je peux marcher dix minutes maximum sur du plat et très lentement. Je n’ai même plus l’énergie de cuisiner, ce sont des proches qui m’aident. Quand je vois des ami·es, soit ils viennent chez moi, soit ils viennent me chercher, parce que je ne peux plus conduire. Heureusement que j’ai un bon « groupe de soutien », comme on dit entre patient·es. J’ai également installé des chaises à des endroits stratégiques de mon appartement, parce qu’après chaque geste, comme simplement me préparer un café, j’ai besoin d’une pause. J’ai même installé une chaise dans ma douche, car me laver les cheveux me demande un effort insoutenable. Il faut dire que j’ai une forme sévère de covid long, qui n’a fait que s’aggraver. Je ne fais pas grand-chose, au final. Selon les phases, je peux regarder des documentaires, mais en ce moment mes yeux me font mal. Lire m’est devenu impossible, c’est trop fatigant. Parfois j’écoute des livres audio ou des podcasts. Au début, on m’a crue difficilement. Quelqu’un m’a même dit de me forcer à courir ! C’est une maladie très stigmatisante, dans une société où tout va vite et où il faut se montrer productive. Ça l’est d’autant plus en tant que jeune femme, je trouve. Je n’ai jamais eu un tel sentiment de désespoir, d’autant plus qu’on n’a pas l’assurance de savoir qu’on va finir par guérir. La perte d’indépendance est terrible, et la maladie ne laisse quasiment plus aucune place à la spontanéité, c’est très dur.


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