Le site Pornhub, derrière lequel se cache une boîte luxembourgeoise, accueille des millions de vidéos à caractère pornographique, dont certaines montrent des viols ou des actes pédophiles – pourtant, la lutte contre cette cybercriminalité semble difficile.
Depuis quelques mois, les médias luxembourgeois sont régulièrement interpellés via la plateforme Twitter par des activistes américaines en guerre contre l’empire Pornhub. Par des injonctions comme « Merci au Luxembourg de laisser des viols d’enfants en ligne », elles essaient d’attirer l’attention sur le fait que la firme derrière la plateforme vidéo Mindgeek est basée au grand-duché, et que ce serait donc aux autorités luxembourgeoises d’agir contre les négligences de Pornhub et des autres plateformes appartenant au même conglomérat.
Ces interventions se basent souvent sur du matériel mis en ligne par la campagne « Traffickinghub », qui revendique tout simplement la fermeture de Pornhub et des poursuites contre ses propriétaires, qui doivent être tenus responsables devant la justice pour trafic d’êtres humains. La campagne a déjà été relayée dans les médias anglophones, comme le « Guardian », « Rolling Stone » et autres – et le Luxembourg montré du doigt. « Traffickinghub » profite aussi du soutien financier d’une autre ONG américaine, Exoduscry, qui finance des campagnes similaires au niveau international.
Le 16 juillet, une plainte a été déposée contre « Mindgeek sàrl » et les branches américaines et canadiennes de l’entreprise devant la cour de justice de Spartanburg, en Caroline du Sud. Les reproches se basent avant tout sur le manque de réaction de la firme quand elle a été interpellée par des victimes, qui ont retrouvé des vidéos les mettant en scène auxquelles elles n’avaient jamais donné leur accord – ou, pire, qui montrent leurs viols. Ce n’est pas la première fois que des accusations de ce genre sont portées publiquement. En février, la BBC a mis en ligne l’histoire de Rose Kalemba, une jeune Américaine victime d’un viol en groupe à l’âge de 14 ans. Au-delà de ce crime épouvantable, elle a dû se battre contre Pornhub, car ses violeurs l’avaient filmée et avaient mis en ligne la vidéo sur cette plateforme. Des camarades de lycée l’ont reconnue ; elle a été moquée publiquement et sa version des faits contestée. Des emails répétés à la plateforme demandant le retrait de la vidéo ont été froidement ignorés – Kalemba n’a obtenu la suppression qu’après s’être fait passer pour une avocate. Apparemment donc, les responsables de Pornhub sont au courant de ce qui se passe sur leur site, mais ne bougent que si on les force.
Plainte aux States contre Mindgeek
Quant à la structure luxembourgeoise, deux entités répondent au nom de Mindgeek. Toutes deux appartiennent à Feras Antoon et David Tassilo, deux résidents canadiens qui ont racheté ce business en 2013 à l’investisseur allemand Fabian Thylmann. À l’époque, celui-ci se trouvait dans de sales draps avec la justice allemande pour évasion fiscale : après un court séjour en prison, il s’en est tiré avec une amende de cinq millions d’euros.
Selon les derniers bilans publiés, les actifs cumulés des deux firmes luxembourgeoises approchent les 200 millions de dollars – et ce ne sont pas les seules firmes que possèdent Antoon et Tassilo. Une somme coquette donc, mais la pornographie a toujours été une mine d’or pour celles et ceux qui ne craignent pas de mettre leurs mains dans le cambouis.
Pourtant, quand le cambouis est fait de vidéos non consenties, voire d’abus, c’est tout à fait autre chose. Une chaîne Pornhub a d’ailleurs disparu : « GirlsDoPorn », qui proposait des vidéos de très jeunes filles qui feraient « leur premier et seul porno ». Cela n’a cependant été possible qu’après que les hommes qui tournaient ces vidéos se sont retrouvés derrière les barreaux. Et les vidéos qui mettent en scène de jeunes amatrices qui apparemment consentent à des actes sexuels contre de l’argent sont légion – difficile pourtant de toujours savoir à quel point tout est véritablement consenti. Et même des ex-starlettes du porno amateur témoignent du système d’abus et de pressions qui se cache derrière ces mises en scène.
Alors, comment contrôler ce monstre ? L’enjeu est de taille et ne se limite pas à la seule structure Pornhub – même si elle disparaissait du web demain, son remplacement ne prendrait que quelques heures. Il faudra donc instaurer des contrôles efficaces sur les contenus de ces sites pour protéger les éventuelles victimes, mais aussi celles et ceux qui en ont fait leur pain quotidien. Pour cela, il faut s’en donner les moyens – et le Luxembourg se montre toujours très prudent quand il est interpellé. Comme le démontre une réponse de la ministre de la Justice Sam Tanson à une question parlementaire du député Marc Baum : constatant le manque de vigilance des propriétaires du site, le parlementaire veut savoir si les sanctions prévues dans le Code pénal pour « l’utilisation d’un réseau de communications électroniques pour la diffusion de matériel pédophile » sont envisagées. Surtout que l’ex-ministre Félix Braz avait indiqué dans une réponse à une question posée en 2017 par la députée Nancy Arendt que les autorités grand-ducales disposeraient d’une large compétence « pour poursuivre des infractions en matière sexuelle commises à l’égard de mineurs, et ce même en l’absence de dénonciation officielle par une autorité étrangère compétente ».
Sa successeure ne semble pourtant pas vouloir trop aller de l’avant. Aux questions de savoir si la ministre estime que les reproches faits à Pornhub peuvent engendrer des poursuites et si la justice s’est saisie du dossier, Tanson invoque la séparation des pouvoirs et dit ne pas pouvoir « intervenir dans une procédure judiciaire ». Quant à savoir quels moyens le Luxembourg se donne pour lutter contre ce fléau, la ministre égrène les avancées déjà faites, notamment l’opération coup de poing récente qui a permis d’identifier 46 personnes, et nomme aussi la convention de Budapest contre la criminalité dans le domaine numérique. Si elle est d’accord pour admettre qu’il est « incontestable qu’il faudra davantage outiller les autorités afin de pouvoir agir vite et efficacement », elle renvoie aussi à des procédures législatives européennes en cours. Pourtant, pas un mot sur une éventuelle responsabilité de la place financière et sa légendaire discrétion, laquelle a sûrement son rôle à jouer dans le choix du Luxembourg comme base arrière du business porno mondial.
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