Plutôt que par sa description somme toute convenue d’un amour lesbien, « Carmen y Lola » séduit avant tout par sa plongée documentaire au cœur de la communauté gitane espagnole. Un dépaysement total stimulant.
Si on ne peut pas a priori taxer celles et ceux qui iront voir « Carmen y Lola » d’entretenir des préjugés sur l’orientation sexuelle, peut-être que certains de leurs autres préjugés tomberont pendant la projection. En effet, la réalisatrice Arantxa Echevarría prend le parti de plonger son audience au sein d’une communauté gitane de la banlieue de Madrid, montrant du même coup une réalité pas forcément connue : les maisons sont en dur, les habits certes colorés mais tout à fait standardisés, les emplois bel et bien existants. Tout comme l’ostracisme de la population gadjo, concentré dans cette scène où la patronne d’un salon de coiffure rabaisse immédiatement Carmen, qui se présente pour une place d’apprentie.
Car Carmen, 17 ans, a un destin tout tracé : celui d’une jeune femme de sa communauté, fiancée tôt, mère rapidement, au service d’un homme qu’elle n’a que peu fréquenté avant, en raison des interdits sociaux en vigueur là où elle vit. Pour que ce destin bifurque, il faut qu’elle croise le chemin de Lola, de quelques mois sa cadette, plutôt bonne élève, graffeuse à ses heures et qui se rêve institutrice. Lola flashe sur Carmen lorsqu’elle la rencontre sur le marché où toutes deux aident leurs parents. Évidemment, dans ce microcosme gitan où le machisme règne presque sans partage, cet amour est tabou.
Ce n’est bien sûr pas la première fois qu’un tel amour se retrouve sur grand écran, et le scénario n’échappe pas à certains retournements déjà vus que les cinéphiles reconnaîtront, voire anticiperont facilement. La fin, à la beauté fascinante mais qui ne résout rien, est également simpliste. D’autant que le film se base sur une histoire vraie, qui a conduit au premier mariage homosexuel gitan en Espagne : la matière était donc là. Mais voilà, cette immersion quasi naturaliste dans un milieu méconnu est orchestrée de main de maîtresse par Arantxa Echevarría, qui joue de sa caméra (parfois au point de donner le tournis) comme d’une guitare flamenco. Elle montre des mœurs, des visages et des corps qui suscitent successivement l’admiration, le désir et la répulsion. Sans porter de jugement, elle aborde des thèmes comme la domination patriarcale ou l’illettrisme, mais aussi la foi ou le désir d’évasion. Tout ça en accord avec la bande-son qui passe habilement de la musique traditionnelle au silence, lequel couronne notamment la scène du premier baiser.
Et puis il y a les actrices – et dans une moindre mesure les acteurs, dont le temps d’écran n’est pas comparable. Une seule est professionnelle. Les autres sont issues d’un casting qui a duré des mois avant de trouver les interprètes du film. La réalisatrice voulait en effet recruter au sein de la communauté gitane, qui ne compte pas beaucoup de comédiennes et comédiens. Zaiza Romero campe une magnifique Lola, d’abord frustrée, mais qui s’épanouit et prend les choses en main lorsque son amour est payé de retour ; Rosy Rodriguez incarne avec brio la valse-hésitation d’une jeune femme presque déjà rangée qu’une rencontre détourne du droit chemin. Tout ce petit monde fait face à la caméra avec un tel naturel qu’on a peine à croire que c’est la première fois. Même si l’histoire n’a rien d’original, on plonge en apnée dans cette Espagne à mille lieues de celle que l’on connaît pour en ressortir revigoré par l’énergie vitale de ses interprètes.
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L’évaluation du woxx : XX