Avec « Le jeune Ahmed », les frères Dardenne s’attaquent au sujet brûlant de la radicalisation islamiste – et s’en sortent quasiment indemnes, grâce à leur image de marque naturaliste.

Un gentil petit lapin peut-il faire changer d’avis un jeune convaincu de la nécessité du djihad ?
C’est difficile d’être Ahmed. Difficile d’être un ado d’origine arabe, dans la triste banlieue liégeoise de surcroît, et par-dessus le marché frêle et sensible porteur de lunettes. Alors Ahmed se tourne vers l’imam local, dont les prêches radicaux vont vite empoisonner son petit cerveau disponible. En l’absence d’autres modèles – le père est absent et la mère souffre de tendances alcooliques –, il ne lui reste que cette voie et le souvenir de son cousin, mort au djihad pour Daech. Mais sa radicalisation va trop vite, même pour son précepteur, et Ahmed se retrouve dans une prison pour jeunes où des éducateurs essaient de le remettre sur le droit chemin.
Comme toujours chez les frères Dardenne, aucune consigne morale n’est émise et aucun jugement n’est donné. Le personnage principal, incarné par Idir Ben Addi, peut par moments inspirer la sympathie par son ingénuité, mais aussi repousser à cause de son entêtement juvénile à vouloir servir sa religion – ou du moins l’interprétation très réduite qu’il en fait. Même la possibilité d’une romance de jeunesse avec Louise (Victoria Bluck), une jeune fille d’agriculteur qu’il rencontre lors de sa réhabilitation, ne peut lui faire changer d’avis sur le monde. Ahmed semble irrécupérable, même si çà et là des craquelures apparaissent dans sa carapace de jeune soldat d’Allah.
C’est grâce au style naturaliste des réalisateurs qu’apparaît aussi le contraste poignant entre la propagande djihadiste, martiale et pathétique, et la réalité quotidienne d’Ahmed. Qui certes n’est pas la plus gaie – on reste dans le pré carré des Dardenne, donc Seraing dans la banlieue de Liège –, mais où tout n’est pas perdu : il y a notamment Mme Inès, l’enseignante qui le suit depuis qu’il est tout gosse et qui refuse de l’abandonner. Et elle n’est pas la seule à résister aux relents de violence qui se sont installés dans la communauté : d’autres élèves et parents d’élèves surtout s’investissent et confrontent leurs points de vue dans la quête d’un modèle de vivre-ensemble en paix pour toutes et tous.
Mais surtout, « Le jeune Ahmed » évite majestueusement ce que tout-e spectateur-trice a probablement fait avant même de s’installer dans son fauteuil de cinéma : porter un jugement sur le personnage principal. Là où d’autres réalisateurs-trices auraient sans doute misé longuement sur l’endoctrinement pour mieux anticiper un passage à l’acte violent avec catharsis avant le générique final, les frères Dardenne rompent – comme d’habitude – avec cette sorte de procédé narratif. Ils ne montrent que des tranches de vie réalistes et évitent aussi d’entrer dans des détails non essentiels à l’histoire qu’ils veulent montrer. La caméra à l’épaule suit Ahmed dans ses tribulations, le montre dans ses doutes et ses certitudes et nous invite à l’accompagner dans cette voie douloureuse qu’il a choisie dans un moment de vide adolescent, où la révolte par tous les moyens semble la solution à tous les problèmes.
Les Dardenne s’abstiennent aussi de juger leur personnage, en jouant sur le paradoxe de la proximité visuelle qui permet une plus grande distance dans la narration. Ce qui fait du bien, eu égard à un thème qui, du point de vue de la difficulté, est un vrai champ de mines. La seule appréciation qu’ils se permettent est universelle et s’applique à toutes les religions : à trop grande dose, elle rend très très conne.
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