Élections communales : Contrastes


Pour notre série sur les élections communales, le woxx propose de faire le tour des communes importantes, mais pas uniquement. Esch-sur-Alzette, la métropole du fer, est la première dans notre viseur.

Marché matinal d’Esch – un mélange de cultures et de classes. (Photo : woxx)

Il suffit d’une petite balade le matin sur la place de l’Hôtel de Ville pour s’en rendre compte : Esch est une ville pleine de contrastes. S’y côtoient pêle-mêle les migrants fraîchement arrivés, ceux qui sont ici depuis des générations, les docteurs et avocats, les frontaliers, des gens qui n’ont sûrement pas fermé un œil la nuit dernière et ceux qui partent pour une journée de travail avec les batteries rechargées à fond. Ce mélange n’est pas seulement ethnique (selon les derniers chiffres du Statec, la ville accueille 51,88 pour cent d’étrangers sur son territoire), mais aussi social – les fractures sont plus visibles que dans d’autres grandes villes comparables, comme la capitale.

Les agences d’intérim sont légion d’ailleurs dans la ville, et leur présence n’est pas un signe de bonne santé économique, même si elles servent aussi à contourner le fisc français – un récent reportage sur France 3 démontrait comment ces agences embauchent des Français au Luxembourg pour les envoyer travailler sur des chantiers dans l’Hexagone, pour éviter les charges sociales plus élevées chez nos voisins. Pas étonnant aussi que selon les derniers chiffres, présentés par Pierre Gramegna à la Chambre des députés en octobre de l’année dernière lors du grand dévoilement du budget, le canton d’Esch caracole en tête des chiffres du chômage : 9,8 pour cent, suivi de Wiltz et de Diekirch avec respectivement 8 pour cent et 8,3 pour cent. À noter cependant qu’en tant que commune, Esch n’arrive qu’en seconde place, derrière Reisdorf qui compte le pourcentage le plus élevé de chômeurs au Luxembourg.

C’est surtout le chômage des jeunes qui pose problème dans la commune, qui pourtant a beaucoup investi dans des programmes et initiatives à leur destination. Comme le CIGL (Centre d’initiative et de gestion local – qui vient d’ailleurs de fêter ses 20 ans le weekend dernier) ou encore 4Motion qui opèrent sur son territoire. C’est au premier par exemple de s’occuper du système Vël’Ok, qui met à disposition des bicyclettes aux habitants de la ville. Instauré avant l’arrivée des Vel’oh ! à Luxembourg-ville, le projet eschois se distingue par le fait que c’est un acteur local non marchand qui s’occupe de la gestion du réseau et des réparations à faire, et non pas un concessionnaire privé. Et à la vue des râteliers jamais complètement remplis et des jeunes circulant avec les vélos communaux, on peut en déduire que les habitants se sont approprié ce système.

Pas encore une ville étudiante

Malgré ces efforts, le chômage et les difficultés sociales persistent avec une population souvent fragilisée par un marché du travail qui n’est pas le même pour tout le monde. S’y ajoute que la ville d’Esch ne profite – pour l’instant du moins – pas trop de l’effet Belval, le site étant en partie sur son territoire. Le contraste est le plus frappant lorsqu’on prend le train entre les deux stations Esch et Belval-Université. D’un côté, on est en présence d’une gare où rien n’a été changé depuis les années 1970 (et qui est en chantier partiellement) sans indicateurs horaires et dans un état plutôt piteux ; de l’autre, la futuriste gare de Belval avec son architecture contemporaine et son grand logo « Let’s Make It Happen » sur le sol du hall principal. L’effet de contraste psychogéographique se renforce encore quand on prend en compte la population très différente de ces deux parties de la ville : dans le « vieil » Esch, celle-ci reste très mélangée, tandis qu’à Belval elle est plus homogène, composée de fonctionnaires, d’employés, d’étudiants et de clients des magasins du Plaza – enfin de ceux qui ont survécu à la planification hasardeuse des années pionnières.

Ce n’est que petit à petit que les deux mondes s’interpénètrent. L’ouverture tant attendue de la résidence « Mercure » cette semaine – qui a pris quelques années de retard – devrait apporter plus de visibilité à la vie étudiante dans une ville qui se veut universitaire. Même s’il est vrai qu’on croise çà et là des étudiants étrangers dans les rues de la « vieille ville » ou à la gare, une vraie atmosphère fait encore défaut. Certes, l’évolution d’une zone urbaine est un phénomène qui prend du temps, mais le passage vers le futur qui est prôné sur maintes affiches dans la ville se fait encore attendre. D’autant plus que la ville est plutôt généreuse concernant l’accueil d’une population particulière, celle des réfugiés. Avec un centre d’accueil (celui communément appelé « à côté du Pitcher », nom d’un café emblématique de la ville) existant depuis les années 1990 et la structure planifiée sur le quai Neudorf, Esch est une des villes qui a tenu ses promesses en matière d’accueil – sans créer trop de remous parmi sa population. Ceci est dû à une bonne gestion du projet de la part de la commune, qui a cherché le dialogue avec les habitants du quartier et a adapté le projet subséquemment. Des efforts qui ont partiellement été fragilisés par l’implantation impromptue d’une nouvelle structure dans l’ancienne Ediff à côté de Lallange. Sur le terrain de la commune de Mondercange, mais réellement à côté du quartier eschois, l’accueil de réfugiés sur décision ministérielle a donné lieu à une rencontre citoyenne sous haute tension.

Autre projet d’envergure : la candidature « Esch 2022 » pour devenir la capitale européenne de la culture dans cinq ans. Décriée comme n’étant pas à la hauteur dans sa première mouture – qu’on se rappelle le premier logo avec « Love » -, celle-ci est en train de prendre forme notamment sous l’impulsion de l’équipe formée par Janina Strötgen et Andreas Wagner. Le nouveau concept, « Remix », sonne moins ringard et les projets se concrétisent. Reste à attendre l’automne pour que la candidature soit acceptée, et Esch recevra l’adoubement de capitale culturelle en devenir, ce qui changera la donne. Aussi parce que les infrastructures culturelles, Kulturfabrik et Musée de la Résistance (la Rockhal sur le site Belval mise à part), manquent un peu de reconnaissance au niveau national, où elles restent des acteurs régionaux.

Mais Esch en 2022 connaîtra aussi une nouvelle année électorale. Le conseil communal qui sera élu en octobre de cette année devra donc repasser par l’épreuve électorale à ce moment. Mais on peut gager que le paysage politique ne sera pas chamboulé en profondeur jusque-là. Après une longue période sous influence communiste, notamment avec l’emblématique Arthur Useldinger, dont le règne s’est terminé en 1979, Esch « la rouge » a toujours été une ville dominée par le parti socialiste. À la différence de Dudelange, où les socialistes profitent depuis presque toujours de la majorité absolue, leurs camarades eschois ont tout de même toujours dû chercher des partenaires pour former des coalitions. Les dernières, encore sous Lydia Mutsch, étaient toutes ancrées à gauche (soit rouge-rouge-vert soit rouge-vert, comme c’est le cas actuellement). C’est que la section locale a la réputation d’être plutôt à la gauche du parti, avec à sa tête la « frondeuse » Vera Spautz – qui n’est pas la seule à ne pas exclure d’emblée une coalition qui inclurait Déi Lénk. Dans la bataille qui s’annonce, le LSAP semble miser sur la continuité, puisque la liste est quasiment identique à celle des dernières élections, Lydia Mutsch – devenue entre-temps ministre de la Santé – en moins. Lors des élections de 2005 et de 2011, le nombre des sièges socialistes (9) n’a pas bougé – même si les pourcentages ont légèrement baissé, d’environ deux points. Les socialistes sont talonnés par leur adversaire, le CSV (5 sièges en 2005 et 4 en 2011), qui ne devrait pas se faire trop d’illusions pour forcer le jeu dans la métropole du Sud. Sa liste, du moins, ne présente pas de grandes surprises : aucune personnalité parachutée cette fois et uniquement de légers remaniements. Seul changement notable : l’arrivée de Christian Weis au conseil communal l’année dernière en remplacement de Mady Hannen. Weis, qui est aussi le secrétaire de la section eschoise du CSV, est donc le seul renouvellement de taille.

Les communales seront probablement sans grandes surprises

Quant aux autres partis en lice, on a les Verts et Déi Lénk, avec chaque fois deux sièges. Donc tous les deux pourraient accéder seuls au statut de partenaire du LSAP – et tous les deux ont été les gagnants des dernières élections de 2011 – Déi Lénk remportant même un siège de plus. Alors qu’en 2011, une coalition avec le LSAP de Lydia Mutsch n’était pas vraiment envisageable pour le mouvement de gauche, cette fois-ci pourrait être la bonne. Non seulement parce que l’actuelle bourgmestre a plus d’affinités avec la gauche, mais aussi parce que les Verts pourraient ne pas sortir gagnants en octobre. Cela pour deux raisons : de leurs têtes connues, il ne reste que Martin Kox – Félix Braz étant parti au gouvernement et Muck Huss ayant pris sa retraite. Et puis le fait d’être au gouvernement pourrait aussi les pénaliser. Mais la messe n’est pas dite, surtout que la liste Déi Lénk, pas encore publique, ne comportera pas une de ses têtes les plus connues : Théid Johanns a effectivement exclu d’y figurer.

Ne restent alors que le DP, le KPL et l’ADR. Pour le premier, pas de grands changements non plus, sinon l’apparition de Dalia Scholl en deuxième tête de liste. Mais traditionnellement, le DP ne chasse pas trop sur les terres du Minett – et se contentera probablement de garder un siège. Quant au KPL, qui en 2011 a réussi pour la première fois depuis longtemps à placer un conseiller à Esch – Zénon Bernard -, il n’a pas encore publié de liste. Finalement, l’ADR, éjecté en 2011 après la débâcle de la Biergerlëscht de son ancien député Aly Jaerling, n’a pas encore présenté de liste, mais de toute façon ne jouait qu’un rôle marginal dans la commune.

Grands enjeux donc pour Esch à l’avenir, mais qui devraient être maîtrisés – sauf surprise – par une équipe de têtes connues.


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