Au lendemain du premier tour des élections législatives anticipées en France, la candidate du Nouveau Front populaire dans la circonscription des Français·es de l’étranger du Benelux était en meeting au Luxembourg. Élu·es écologistes, socialistes et Déi Lénk luxembourgeois étaient à ses côtés pour apporter leur soutien à l’union de la gauche française, face au péril de l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national.
« Je n’en dors plus la nuit », lâche spontanément Tilly Metz quand on l’interroge au lendemain du premier tour des législatives anticipées françaises, dominé par le Rassemblement national (RN) et ses alliés de droite, qui ont recueilli 33 % des suffrages. Le risque de voir l’extrême droite arriver au pouvoir est bien réel et l’eurodéputée Déi Gréng s’est jointe à d’autres responsables de la gauche luxembourgeoise pour soutenir le Nouveau Front populaire lors d’un meeting électoral au Casino syndical, à Bonnevoie, lundi 1er juillet.
Pour la candidate de l’union de la gauche dans la quatrième circonscription des Français·es de l’étranger, Cécilia Gondard, il s’agit de la deuxième réunion électorale au Luxembourg en moins d’une semaine. Sortie en tête sur l’ensemble de la circonscription, qui regroupe les trois pays du Benelux, la socialiste accuse néanmoins, au Luxembourg, un sérieux retard de 15 points sur son concurrent, le macroniste et député sortant Pieyre-Alexandre Anglade (lire ci-dessous). L’objectif est donc de convaincre les électeurs et électrices de nationalité française du Luxembourg de voter, au second tour du 7 juillet, pour le Nouveau Front populaire. « C’est la seule force politique capable d’obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale et de s’opposer au Rassemblement national », argumente Cécilia Gondard, alors que le camp présidentiel est donné largement minoritaire dans la prochaine assemblée. Elle met en avant le programme de rupture de la gauche en faveur d’une plus grande justice sociale et fiscale, alors que le RN fait son miel des inégalités croissantes et de la paupérisation d’une partie grandissante de la population française.
Face à la candidate issue du parti socialiste, le public est clairsemé, seule une trentaine de personnes ayant pris place dans la grande salle du Casino syndical. Il y a au moins autant de monde réuni autour de l’écran qui, dans le café voisin, diffuse la rencontre de foot entre la France et la Belgique, en Coupe d’Europe.
Un pari difficile, mais pas hors de portée
Qu’à cela ne tienne, chaque voix est bonne à aller chercher, alors que chaque député·e Nouveau Front populaire renforcera le barrage contre l’extrême droite et donnera à l’union de la gauche la possibilité de gouverner la France dans quelques jours, répète Hélène Conway-Mouret, sénatrice socialiste des Français·es établi·es hors de France et ancienne ministre déléguée chargée des Français·es de l’étranger, sous François Hollande. Constituée en un temps record après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, le 9 juin, la large alliance entre partis de gauche aligne quelque 320 candidat·es au second tour, alors qu’il faut 289 élu·es pour obtenir la majorité absolue. Le pari est difficile à tenir, mais pas totalement hors de portée.
Ce message est aussi celui délivré par cinq élu·es de la gauche luxembourgeoise entourant Cécilia Gondard sur la tribune du Casino syndical. Il y a les écologistes Sam Tanson et Tilly Metz, les socialistes Franz Fayot et Marc Angel ainsi que le député Déi Lénk David Wagner. Tous et toutes disent d’abord leur attachement affectif à la France, où ils et elles ont effectué une partie de leurs études, se rendent en vacances ou encore puisent leurs racines, à l’image de David Wagner qui rappelle que sa mère est native de Marseille. « Dans le quartier où est élu le député insoumis Manuel Bompard et dans lequel était élu Mélenchon auparavant », précise le député Déi Lénk, ajoutant avec malice : « C’est un hasard, mais j’aime penser que ce n’est pas tout à fait le cas. »
Le parti de la gauche luxembourgeoise travaille régulièrement et depuis plusieurs années avec La France insoumise (LFI), avec laquelle il partage un projet de rupture radicale. Une proximité assumée par le député Déi Lénk, alors que LFI est l’objet, en France, d’une campagne de diabolisation de la part des médias et de ses adversaires politiques, qui l’accusent notamment d’antisémitisme en raison de sa position sur la guerre à Gaza. Cette accusation manque néanmoins d’éléments factuels, aucun membre du mouvement de Mélenchon n’ayant été à ce jour poursuivi ou condamné pour de tels faits, qui constituent un délit en France. Une absence de poursuites qui est loin d’être le cas à l’extrême droite.
« Il faut une politique qui rompe avec le capitalisme, car c’est lui qui produit le fascisme », fait encore valoir au woxx David Wagner avant le début du meeting. « La social-démocratie a-t-elle seulement appris de ses leçons ? Car c’est elle qui est responsable de ce qui se passe en France en ayant amené Macron au pouvoir », interroge encore le député Déi Lénk en aparté.
« Un grand pas en arrière »
Une question qu’il se garde cependant de poser ouvertement à la tribune, alors qu’à ses côtés l’eurodéputé LSAP Marc Angel développe ses propres arguments en faveur de la candidate du Nouveau Front populaire, qu’il connaît personnellement, « car elle travaille au Parlement européen ». Marc Angel insiste sur le danger du RN pour l’Union européenne : « Ce serait désastreux, car la France pourrait devenir un élément de blocage dans la construction européenne et pourrait mettre à l’arrêt l’indispensable moteur franco-allemand. » Tout comme Tilly Metz, il rappelle que la France est l’un des pays fondateurs de l’ensemble européen, tout comme l’Italie et les Pays-Bas, où l’extrême droite a déjà accédé au pouvoir.
« Ce serait un grand pas en arrière », convient aussi Sam Tanson. « La problématique climatique et écologique est niée par l’extrême droite qui veut, par exemple, revenir sur la fin des moteurs thermiques pour les voitures », détaille la députée Déi Gréng. « En cas de victoire du RN, il y aura une minorité de blocage au sein du Conseil européen, ce qui empêchera toute avancée dans le domaine social, écologique et de la défense », renchérit-elle. « La France est la patrie des droits de l’homme », ajoute-t-elle, en référence au pays des Lumières, invoqué à plusieurs reprises au cours du meeting. Le député LSAP Franz Fayot ne peut imaginer voir « le RN xénophobe au pouvoir dans notre pays voisin », dont il préfère retenir la devise « exemplaire : liberté, égalité, fraternité ».
L’union des gauches par-delà les frontières est d’abord motivée par le rejet de l’extrême droite. En France, elle est constituée d’un attelage hétéroclite, allant du candidat d’extrême gauche du Nouveau Parti anticapitaliste Philippe Poutou au rose très pâle de l’ancien président socialiste François Hollande. Un tableau sensiblement identique à celui présenté lundi soir par la gauche luxembourgeoise venue soutenir Cécilia Gondard. « Ce n’est pas l’union pour l’union, c’est avant tout l’antifascisme qui réunit tout le monde. J’ai été étonné de voir à quelle vitesse le Nouveau Front populaire a été mis sur pied, mais face à la menace, il le fallait », avait résumé David Wagner avant le début du meeting.
Le RN hors jeu chez les Français·es de l’étranger
Remportée à deux reprises par le candidat macroniste Pieyre-Alexandre Anglade, la quatrième circonscription des Français·es de l’étranger a placé la candidate du Nouveau Front populaire, Cécilia Gondard, en tête du scrutin à l’issue du premier tour des législatives, le 30 juin. Sur l’ensemble des trois pays du Benelux, qui composent la circonscription, la candidate issue du parti socialiste a obtenu 37,49 % des suffrages, contre 35,46 % à son concurrent du groupe Ensemble, qui fédère le parti macroniste et ses alliés (principalement le Modem et Horizons). « Sur le Benelux, nous allons vers un duel habituel, opposant le candidat de gauche à celui de Macron », avait prédit Cécilia Gondard, dès avant le premier tour. Jusqu’à présent, le RN n’a jamais réussi à percer dans la circonscription, et ces législatives n’y font pas exception. La candidate du parti lepéniste, Charlotte Beaufils, n’a réuni que 9,04 % des voix. Elle n’est donc pas présente au second tour (il faut au moins 12,5 % des votes des électeurs et électrices inscrit·es dans la circonscription pour une qualification). Mais il est à noter que c’est dans le bureau de vote de Luxembourg que le RN a réalisé son meilleur score dans la circonscription, avec 14,12 % des voix, contre 8,4 % à Bruxelles et seulement 4,7 % à Amsterdam. Autre particularité : alors que la candidate du Nouveau Front populaire est arrivée en tête en Belgique (où elle réside) et aux Pays-Bas, au Luxembourg, c’est Pieyre-Alexandre Anglade qui a réalisé le meilleur score, recueillant 46,55 % des suffrages au premier tour, contre 21,32 % à sa rivale.
Des revenus plus élevés
Cela dit, les Français·es du Benelux votent comme l’ensemble de leurs compatriotes expatrié·es : à l’issue du premier tour, le RN n’a été qualifié pour le second tour dans aucune des onze circonscriptions de l’étranger. Hormis la huitième circonscription qui voit s’affronter le remuant député LR Meyer-Habib à un macroniste, partout ailleurs l’élection met face à face des candidat·es Nouveau Front populaire et Ensemble. Depuis la première élection des député·es de l’étranger, en 2012, le parti d’extrême droite n’a jamais réussi à percer dans cet électorat qui compte quelque 1,6 million de personnes inscrites sur les listes à travers le monde. Interrogée sur cette singularité, Cécilia Gondard avance le rejet du repli sur soi et des thèses hostiles à l’immigration, au centre du programme du RN : « Nous sommes immigré·es dans les pays où nous habitons et nous apprécions d’y être bien accueilli·es, comme c’est le cas en Belgique ou au Luxembourg. Nous savons les difficultés qu’il peut y avoir quand on s’installe à l’étranger, comme le fait d’effectuer des démarches administratives. » La candidate reconnaît néanmoins que ce vote repose également sur une différence sociologique, les Français·es de l’étranger se caractérisant en général par un niveau de revenu et d’éducation supérieur à la moyenne nationale. Alors que dans l’Hexagone, le RN a fait le plein de voix dans les classes ouvrières et employées, ces catégories sont assez peu représentées parmi les Français·es de l’étranger, s’agissant davantage de cadres ou de fonctionnaires expatrié·es. « En France, les services publics s’effondrent et cela provoque un sentiment d’abandon que nous ne vivons pas en Belgique ou au Luxembourg, par exemple », ajoute Cécilia Gondard.
Das könnte Sie auch interessieren:
- Social : « On va défendre le beefsteak »
- Un an de gouvernement Frieden : Manque de dialogue et passage en force
- Les femmes migrantes face à la violence : « On ne peut pas leur garantir qu’elles vont être protégées »
- Digitale Gewalt: Das Handy als Tatwaffe
- Indemnités chômage des frontalier·ères français·es : La variable d’ajustement