Faire de la politique autrement (3/3) : La révolution devra attendre

Faire de la politique autrement –
et au Luxembourg ? Ici, Déi Lénk, qui dit vouloir faire de la politique autrement, brille par son absence de stratégie et n’arrive pas à enclencher une dynamique en sa faveur. Critique solidaire d’un parti qui se cherche.

Déi Lénk n’arrive pas à mobiliser les masses. (Photo : Déi Lénk)

« Un mouvement avec un bras parlementaire » plutôt qu’un parti traditionnel – c’était, il y a encore quelques années, la description que donnaient des membres de Déi Lénk de leur propre parti. Rester ancré dans les mouvements sociaux tout en donnant une voix à la société civile et en utilisant le parlement comme tribune politique – voilà le pari.

Né à une époque où les mouvements altermondialistes émergents commençaient tout juste à remettre en question la doctrine de la « fin de l’histoire », Déi Lénk, issu des « Nei Lénk », eux-mêmes fondés par des anciens du KPL et du RSP (Revolutionär Sozialistesch Partei, trotskiste), se voulait un parti d’un nouveau genre, organisé à l’horizontale, participatif, activiste. Un peu comme juste avant lui Déi Gréng, l’embourgeoisement en moins.

D’abord en alliance avec le KPL, parti historique de la gauche radicale au Luxembourg, puis, après l’inévitable scission et sans le bagage stalinien, seul. Comme son parti frère allemand Die Linke, Déi Lénk, partant de zéro ou presque, pouvait compter sur une ascension sinon fulgurante, du moins constante.

Après la perte du siège au parlement en 2004, suite à la présentation de listes séparées de celles du KPL, et après la défaite des élections communales en 2005, le parti put regagner le siège perdu en 2009, quasiment doubler ses résultats lors des élections communales de 2011, puis doubler son nombre de sièges – d’un à deux – au parlement en 2013.

En l’absence d’entente sur une stratégie réelle, le parti ratisse large.

Après la chute du gouvernement Juncker en 2013 suite à l’affaire du Srel, la constitution d’un gouvernement de centre-gauche entre libéraux, sociaux-démocrates et Verts pouvait créer des espoirs à gauche : une coalition entre DP et LSAP, fondamentalement opposés sur les questions sociales et économiques ne pouvait que nuire au LSAP – et, par conséquent, profiter à Déi Lénk. Tout comme une participation des Verts au gouvernement allait potentiellement démystifier le parti de l’écologie politique et ainsi conférer de nouvelles couches d’électeurs et électrices au parti de gauche.

Après 2013, au niveau européen, c’était un peu l’alignement des planètes à gauche : après la traversée du désert des années 1990, la crise de 2008 et l’austérité des années suivantes avaient contribué à l’échec de la social-démocratie, très arrangeante avec le néolibéralisme ambiant, et à un nouveau départ à sa gauche.

À la périphérie de l’Europe, des mouvements comme Syriza et ­Podemos s’apprêtaient à remplacer la social-démocratie agonisante, au ­Portugal, la gauche radicale et les communistes participaient au pouvoir en tolérant un gouvernement socialiste. En Grande-Bretagne, ­Jeremy ­Corbyn, porté par une vague de soutien émanant des syndicats et de la jeunesse, prenait les rênes du ­Labour Party. En France, Jean-Luc Mélenchon et sa France insoumise frappaient aux portes du pouvoir, ou du moins du second tour, avec près de 20 pour cent des suffrages lors de l’élection présidentielle. Et même aux États-Unis, Bernie Sanders et, plus récemment, Alexandria Ocasio-Cortez, réussissaient à créer une dynamique à gauche.

Et au Luxembourg ? Rien n’indique, pour le moment, que Déi Lénk sera capable d’enclencher une quelconque dynamique en sa faveur. Les élections communales de 2017, largement perçues comme une sorte de répétition générale pour 2018, ont été décevantes pour le parti de gauche, qui a perdu des pourcents dans son bastion historique d’Esch-sur-Alzette et qui a pu, au mieux, maintenir ses résultats dans les autres communes, à l’exception de Sanem.

Rien n’indique, pour le moment, que déi Lénk sera capable d’enclencher une quelconque dynamique en sa faveur.

Déjà, l’objectif affiché – et très modeste, au vu des circonstances énumérées plus haut – du troisième siège au parlement est remis en question par certains. Le parti est-il voué au même sort que le parti frère Die Linke, c’est-à-dire à la stagnation – mais à un niveau encore plus bas ? A-t-il déjà atteint ses limites ? Pourquoi ne peut-il, dans les sondages et à l’occasion des élections communales, que très faiblement profiter du déclin du LSAP ?

Des questions qui ne semblent pas être posées au sein du parti – du moins pas publiquement. Au contraire, puisque après la déception des élections communales, ­certain-e-s allaient même jusqu’à en faire une victoire : après tout, on aurait eu beaucoup de nouveaux candidat-e-s, et pourtant, on aurait pu se maintenir. On est loin de la remise en question, voire de l’autocritique.

Une des explications de la stagnation actuelle de Déi Lénk est certainement l’absence apparente de stratégie : difficile de voir depuis l’extérieur dans quelle direction va le ­parti. Empruntera-t-il la voie populiste de gauche d’une France insoumise ou de Podemos, comme pourraient le laisser – timidement – penser certaines interventions de son porte-parole Gary Diderich ou de son député ­David ­Wagner ? Veut-il s’engager dans la voie de la « normalisation », comme pourraient le laisser entendre certaines tentatives d’apparaître comme un parti « comme les autres », notamment de la part de son député Marc Baum ? Mise-t-il sur la perspective – très lointaine – d’une coalition rouge-rouge-vert, comme semble le souhaiter Serge Urbany et comme l’a laissé entendre sa section à Luxembourg-ville qui, avant les élections communales, a fait une telle proposition aux Verts et au LSAP ? Voire sur un « Gambia+ », comme l’insinuent certains à droite ?

La réponse, et elle touche probablement au fond du problème, c’est que tout cela est vrai. En l’absence d’entente sur une stratégie réelle, le parti ratisse large et se laisse toutes les options ouvertes sans se décider pour l’une d’entre elles. Difficile… non, impossible, de créer une dynamique à gauche de cette façon.

Cette absence de stratégie, de mouvement dans une même direction, semble être inhérente à des structures comme Déi Lénk. ­Fondé par une alliance entre personnes ­issues de différents mouvements ­politiques, entre anciens trotskistes, déçus du KPL et sociaux-démocrates mécontents, le parti-pot-pourri est voué à ne jamais pouvoir se décider pour une ligne politique. Die Linke en a fait et en fait toujours les frais. Le Front de gauche français, construit sur un modèle similaire, en a fait les frais et a finalement échoué en tant que mouvement politique. Syriza, confronté à l’épreuve du pouvoir, en a fait les frais et seule son aile social-démocrate a réellement survécu.

Les élections d’octobre 2018 seront-elles l’occasion d’un nouveau départ ?

C’est en analysant de plus près les exemples de – relative – réussite que l’on peut extraire quelques critères d’un mouvement de gauche victorieux. Le premier critère est évidemment la présence d’une stratégie claire, bien démarquée, partagée par le gros de ses membres et suivie par tous.

La plupart du temps, cette stratégie ne se traduit nullement par la volonté affichée de s’allier à la social-démocratie – stratégie que ­Mélenchon a qualifiée de « s’accrocher à un corbillard » – mais, au contraire, par celle de la remplacer en tant que force hégémonique à gauche. Construire sa stratégie électorale sur l’idée d’une coalition, très peu réaliste par ailleurs, d’une alliance des « forces de gauche » incluant une social-démocratie mourante peut aisément être qualifié d’erreur historique. Le Parti communiste français reste le meilleur exemple en la matière.

La stratégie doit par ailleurs comporter un réel projet de société, destiné à remplacer le modèle actuel : un projet qui peut très bien être radical. Au Luxembourg, ce projet de société pourrait par exemple se traduire par une « exit strategy » pour sortir du modèle de la place financière ­dérobant au pays sa souveraineté démocratique, et son remplacement par une réorganisation écologique de l’économie du pays, soit dit en passant.

Mais un mouvement remportant des succès semble également nécessiter des personnes charismatiques à sa tête. N’en déplaise à beaucoup à la gauche de la gauche, il semble plus que nécessaire de pouvoir associer et clairement identifier un ou plusieurs visages à un mouvement et à une stratégie. Et cela n’empêche en rien une organisation par ailleurs très participative.

Finalement, et c’est peut-être la base du succès, il faut que le mouvement soit un réel mouvement plutôt qu’une machine électorale. La campagne de François Ruffin en est un exemple, tout comme beaucoup d’autres : la dynamique se crée à la base, en contact direct avec les électeurs et électrices, en s’appuyant sur des militant-e-s ­acharné-e-s – manquant de plus en plus à Déi Lénk –, en empruntant aux techniques du « community organizing ». La dynamique ne se crée pas au parlement ni au sein d’un appareil de parti, elle se crée en faisant du porte-à-porte, en mettant les mains dans le cambouis et en utilisant les réseaux sociaux pour en maximiser la portée.

Est-il déjà trop tard pour se doter d’une telle stratégie pour les élections à venir ? Probablement. Déi Lénk, créé à un moment de l’histoire ou personne ne pensait que la gauche de la social-démocratie allait un jour être en mesure de devenir hégémonique, devra se confronter à une profonde remise en question et à une restructuration s’il ne veut pas devenir un obstacle à des succès futurs de la gauche. Cette remise en question, à défaut de l’avoir effectuée en amont des élections nationales à venir, devra par conséquent se faire après le moment fatidique.

Les élections d’octobre 2018 seront-elles l’occasion d’un nouveau départ ?


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