Fête du 1er Mai : Exécution en règle

Luc Frieden a passé un bien mauvais moment à la fête du 1er mai du LCGB, à Remich. Dans un discours vindicatif et sans concession, le président du syndicat, Patrick Dury, a démoli la politique sociale du gouvernement, tandis que les militant·es ont abondamment sifflé le premier ministre. Luc Frieden a été « choqué » par cet épisode, a-t-il confié quelques heures plus tard à l’état-major de… l’OGBL.

Implacable et inflexible : Parick Dury pendant son discours du 1er mai, face à un Luc Frieden pétrifié. (Photo : LCGB)

Plutôt LCGB à Remich ou plutôt OGBL à Neimënster ? Pour les discours syndicaux du 1er mai, Luc Frieden a choisi la première option, pensant sans doute être épargné par un syndicat dont sa formation politique était longtemps réputée proche. Mauvaise pioche. En cette chaude et lumineuse matinée du jeudi 1er mai, le premier ministre chrétien-social a passé l’un des pires moments de sa carrière politique. C’est que le climat social est, pour sa part, loin d’être au beau fixe. Les sujets de discorde s’accumulent sur les pensions, le temps de travail ou les conventions collectives.

Il est un peu plus de 10 heures quand Luc Frieden fait son entrée sous le chapiteau dressé par le LCGB entre la piscine de Remich et les berges de la Moselle, envahies de familles venues lézarder au soleil de ce jour chômé. Flanqué de ses ministres CSV du Travail, Georges Mischo, et de la Sécurité sociale, Martine Deprez, le premier ministre est accueilli par un Patrick Dury souriant et amène. À la tribune, le président du LCGB commence par fustiger la menace du nationalisme et de l’extrême droite, favorisés par un environnement international rendu explosif par Trump, Poutine et consorts. Il en appelle à « une Europe fondée sur la solidarité et la justice sociale ». Jusque-là, tout va bien et Luc Frieden s’associe volontiers aux applaudissements qui ponctuent ce début de discours plutôt consensuel. La suite l’est nettement moins.

Estimant qu’au Luxembourg, « la cohésion sociale devrait être renforcée » pour préserver la démocratie, le président du LCGB constate que « c’est exactement le contraire qui se produit ». Ce gouvernement « se révèle être le fossoyeur de notre modèle social », en remettant en cause le droit exclusif des syndicats représentatifs « de négocier et de signer des conventions collectives », assène Patrick Dury. Singeant le patronat, il lance : « Moi, le patron, je veux diriger mon entreprise comme je l’entends, et pour cela, les syndicats rétrogrades doivent disparaître. Et nos complices au sein du gouvernement m’arrangent l’affaire aux frais des contribuables.»

Ça part sur les chapeaux de roues, à la satisfaction des 1.200 militantes et militants du syndicat qui ont fait le déplacement. Patrick Dury est applaudi a tout rompre, tandis que Luc Frieden et ses ministres sont copieusement sifflé·es. La suite est à l’avenant. Le président du LCGB répète l’accusation de collusion avec le patronat, dénonce la libéralisation des horaires et le travail dominical dans le commerce ou compare le projet dérégulateur du gouvernement à celui mené par Trump aux États-Unis…

Luc Frieden se pétrifie au fil des estocades que lui porte le patron du LCGB. Entre deux salves d’applaudissements et de huées, le public échange des regards complices et rieurs. À l’évidence, on ne boude pas son plaisir et on sent même de la jubilation à se payer ainsi en direct la tête des gouvernant·es. Patrick Dury poursuit sans répit, martelant avec cohérence ses arguments contre un gouvernement qu’il accuse de vouloir semer la division entre privé et public, en favorisant les fonctionnaires. Il s’agit d’une stratégie électoraliste, juge le président du LCGB, qui en appelle à l’élargissement du droit de vote à l’ensemble des résident·es.

Mischo, ministre « obsolète »

Luc Frieden, qu’il accuse de décider froidement de tout, en prend pour son grade. Tout comme Martine Deprez, sur les pensions : « Plutôt que de mener des négociations tripartites, la ministre préfère faire son spectacle. » Itou pour Georges Mischo, dont Patrick Dury déplore les errements dans l’affaire Liberty Steel : « Monsieur le ministre, il ne suffit plus de réciter nos lois, sinon on pourrait en conclure que la fonction de ministre du Travail est obsolète. » Les voilà déjà bien vêtu·es pour le prochain hiver.

À leur politique, le président du LCGB oppose le front syndical uni formé par son syndicat et l’OGBL. « Si nous restons unis et solidaires, je suis convaincu que nous réussirons », lance-t-il, avant de souhaiter une bonne journée à tout le monde. Fin du discours et standing ovation pour Patrick Dury, qui s’en va rejoindre Luc Frieden et ses ministres installé·es au premier rang de l’assistance. Tout le monde est un peu sonné. Même les élu·es de l’opposition présent·es en restent un moment bouches bées. Le député socialiste Ben Polidori, que nous croisons, n’a pas grand-chose à ajouter, se délectant manifestement de cette exécution en règle du gouvernement. Luc Frieden refuse les interviews, mais nous parvenons tout de même à nous entretenir quelques instants avec Martine Deprez. « Il y a des positions différentes », euphémise la ministre, tout en défendant son choix d’une consultation élargie sur la réforme des pensions : « Il n’y a pas que les syndicats… »

Victor, Kassimo et Henri ont passé un bon moment et sont en phase avec « l’agressivité » du discours de leur président. Syndiqués au LCGB, ils sont tous les trois employés par la ville de Differdange. Le 28 juin prochain, ils promettent qu’ils viendront grossir les rangs de la manifestation nationale convoquée dans les rues de la capitale par leur syndicat et l’OGBL. Ils veulent défendre leurs acquis et dénoncent le manque d’action des pouvoirs publics contre la cherté du logement ou les dépenses démesurées dans certaines infrastructures. Fait singulier, Kassimo et Henri, pourtant proches de la retraite, sont syndiqués depuis peu, signe d’une inquiétude récente face à l’avenir. « On ne sait jamais ce qui peut arriver et le syndicat nous sera utile en cas de problème », soutient Henri.

Luc Frieden blessé

(Photo : LCGB)

Luc Frieden consent quelques selfies qu’on lui réclame malgré tout, avant de filer sans plus de cérémonie, emmenant ses ministres dans son sillage. Quelque trois heures plus tard, les voilà attablé·es à Neimënster avec l’état-major de l’OGBL. À la bonne franquette. Et de quoi parlent-ils ? Essentiellement du discours à charge de Patrick Dury, le matin même. Le premier ministre est « glacé et choqué », confie-t-il aux responsables du syndicat de gauche, auprès desquel·les il ne trouve qu’une maigre consolation. Luc Frieden est blessé par le qualificatif de « politicien sans cœur », dont il parvient difficilement à s’affranchir depuis son retour en politique, en 2023. Face à la direction de l’OGBL, il invoque les relations chaleureuses qu’il entretient avec ses enfants, selon les indiscrétions glanées par le woxx.

Lorsque nous l’interrogeons, la présidente de l’OGBL, Nora Back, confirme sobrement qu’une bonne partie de l’échange a porté sur les événements du matin, tandis que les dossiers qui fâchent n’ont quasiment pas été abordés : « Ce n’est pas le bon endroit pour cela », s’amuse-t-elle. « On ne règle pas les problèmes autour d’une Thüringer et d’une bière », cingle la même le lendemain, quand RTL la questionne sur le fait de savoir si la venue du premier ministre n’est finalement pas un signe de bonne volonté de sa part. Tant le LCGB que l’OGBL sont d’accord sur ce point : venir boire un coup, c’est bien sympathique, mais cela ne change rien au problème. Le gouvernement poursuit ses projets défavorables aux salarié·es et entretient un flou permanent, sans prendre en compte leurs propositions.

Ces dernières semaines, l’équipe de Luc Frieden a bien essayé de faire baisser le thermomètre et mis quelque peu en sourdine ses réformes sociales, publiquement du moins. Dans l’espoir, peut-être, de démobiliser les troupes pour la manifestation nationale du 28 juin. La détermination des syndicats à transformer ce rendez-vous en raz-de-marée contre la politique de la coalition est cependant intacte, affirment-ils. L’ampleur de la mobilisation sera déterminante pour les deux camps. Dans le discours qu’elle a livré à Neimënster, quasiment au même moment où Patrick Dury s’exprimait à Remich, Nora Back a insisté sur la convergence de vues des deux syndicats sur l’ensemble de leurs revendications. Elle a souhaité un bon 1er mai au LCGB, tout comme Patrick Dury l’a fait pour l’OGBL. Le front syndical affiche son unité et menace désormais d’une grève générale s’il n’est pas entendu. De quoi faire passer d’autres mauvais quarts d’heure à Luc Frieden.


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