Finance verte : Un cadre durable ?

La finance verte est un territoire sur lequel le Luxembourg aime planter son drapeau, histoire d’améliorer son image. Que le gouvernement mette en avant l’adoption d’un nouveau cadre pour les obligations durables étonne donc peu.

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Quand le gouvernement se veut précurseur dans une matière, mieux vaut y regarder de plus près. Car le cadre de référence pour des obligations durables présenté cette semaine n’est que ce qu’il est : un cadre, et non pas une garantie pour des obligations vertes. Le communiqué intitulé « Luxembourg – premier pays européen à lancer un cadre de référence pour les obligations durables » est dès lors à prendre avec des pincettes.

Le premier hic est le fait qu’il ne s’agit nullement d’un lancement d’obligations durables, mais seulement de la définition d’un cadre dans lequel celles-ci devront évoluer. Ce qui sonne révolutionnaire l’est moins si l’on considère que, comme le dit le communiqué, le Luxembourg y a « intégré des critères d’éligibilité déjà conformes aux recommandations du rapport final du groupe d’experts techniques sur la taxonomie de l’Union européenne ». Donc, il s’agit moins d’un engagement désintéressé que d’une mise en conformité précoce. D’ailleurs, le ministère des Finances précise que « le cadre a été conçu pour se conformer au projet de norme européenne sur les obligations vertes ». Le grand-duché apparaît alors simplement comme un « very early adopter » d’une législation européenne pas encore écrite.

Deuxième hic : le cadre de référence répond aux principes émis par l’International Capital Markets Association (ICMA). Il s’agit de l’organisation professionnelle mondiale des banques d’investissement – avec une compétence réglementaire −, qui a publié en 2018 ses « Green Bonds Principles ». Des principes qui sonnent très bien à l’écrit, mais qui ont un grand manquement déjà signalé par les ONG et autres critiques : il n’y a aucune possibilité de sanction si un émetteur ne respecte pas les standards auxquels il a souscrit. Selon les principes de l’ICMA, les avis d’expert-e-s, les contrôles ou certifications ne sont pas obligatoires. Ce qui est peu étonnant quand on se donne la peine de consulter la composition du conseil d’administration de cette association. Présidée par Mandy DeFilippo, responsable du risk management chez Morgan Stanley à Londres, l’instance comprend des autres membres émanant de BNP Paribas, Allianz ou encore BlackRock – bref, un résumé des scandales financiers des dernières décennies. Une seule place au conseil d’administration est allouée à la Banque européenne d’investissement (BEI), qui a son siège au Kirchberg.

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Illustration du manque de cohérence gouvernemental

Si ce sont ces banques qui définissent le cadre des obligations durables, on attendra encore longtemps des règles sérieuses et contraignantes pour que celles-ci soient vraiment durables, respectant aussi bien l’impact écologique que l’aspect social des investissements. À défaut, ces obligations resteront de petits manteaux verts que peuvent enfiler celles et ceux qui continuent de faire craquer la planète tout en prétendant faire du bien.

En parlant d’hypocrisie, ou du moins de manque de cohérence, le gouvernement luxembourgeois ferait mieux de balayer devant sa porte. Car tout en se mettant en scène comme un vaillant précurseur utilisant sa force de frappe économique et financière pour le bien de la planète, il peine toujours à débarrasser son fonds de compensation − qui assure les retraites − des investissements nuisibles, comme les énergies fossiles. Bref, tant que ses propres fonds étatiques ne respectent pas les normes, le Luxembourg ferait mieux de ne pas faire la leçon aux autres. Même si un fonds d’investissement et un cadre pour des obligations sont deux choses bien différentes, c’est une question de logique.


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