Fiscalité internationale : Trump va-t-il nous priver d’impôts ?

Les États-Unis de Trump quittent l’accord international sur l’imposition minimale des multinationales. À l’unisson de l’UE, le Luxembourg assure qu’il continue à soutenir cette mesure de justice fiscale. Mais le gouvernement est toujours incapable d’en chiffrer les effets à venir sur les recettes budgétaires.

Je signe, tu exécutes ! (Photo : The Trump White House/Wiki Commons)

Motion adoptée à l’unanimité. Ce 4 mars, l’ensemble des partis représentés à la Chambre s’est entendu pour soutenir l’accord fiscal international sur l’imposition minimale de 15 % des bénéfices des multinationales. Le débat, lancé par le député LSAP Franz Fayot, avait pour but de clarifier la position du gouvernement luxembourgeois sur cette disposition que les États-Unis veulent dynamiter.

Le 20 janvier, dès son retour à la Maison Blanche, Donald Trump avait signé l’un de ses fameux « executive orders » pour signifier son rejet de l’accord conclu en 2021 par 137 pays, sous l’égide de l’OCDE, dans le but de mieux imposer les multinationales réalisant un chiffre d’affaires annuel d’au moins 750 millions d’euros. Cette disposition est communément connue sous le nom de « pilier 2 » de l’OCDE. Une cinquantaine de pays l’ont déjà transposée dans leur droit national, parmi lesquels les États membres de l’UE, qui avait adopté une directive dans ce sens, le Royaume-Uni, la Suisse, le Canada ou encore le Brésil. L’ancien président Joe Biden avait défendu l’accord, plaidant même pour un taux de 20 %, sans pour autant le transposer dans le droit américain avant la fin de son mandat. Pour sa part, Trump adore les droits de douane, mais déteste les impôts, et son administration menace de mesures de rétorsion les pays qui appliqueront le « pilier 2 » à des entreprises américaines établies sur leur territoire.

Face à ce chantage, quelle position vont adopter les pays signataires de cet accord ? Celui-ci est censé lutter contre l’évasion fiscale massive des multinationales, établir une plus grande justice fiscale et créer des conditions de concurrence plus équitables entre entreprises, notamment en faveur des PME, qui s’acquittent de leurs impôts plein pot. La décision américaine « ne doit pas être un prétexte pour ne pas l’appliquer », a prévenu Franz Fayot. L’ancien ministre socialiste de l’Économie a cité l’exemple d’une récente réunion des ministres CDU des Finances des Länder allemands, préconisant sa suspension. Lors de son intervention, l’écologiste Sam Tanson est allée dans son sens, rappelant qu’on a déjà détricoté les directives sur le devoir de vigilance et le reporting extra-financier des multinationales au nom de la sacro-sainte compétitivité.

Même défense de l’accord de la part de Laurent Mosar (CSV) et de Patrick Goldschmidt (DP), qui ont néanmoins insisté sur la nécessité de maintenir un « level playing field » permettant de conserver sa compétitivité à la place luxembourgeoise. Un argument conforme à la position de ces deux partis proches des milieux d’affaires. Pour l’ADR, Fred Keup a également plaidé pour le maintien de l’impôt minimal, tout en estimant que la position de Washington basée sur le slogan « America First » n’est pas nouvelle. « Les États-Unis ne font jamais rien si cela ne leur rapporte pas quelque chose », a affirmé l’élu, avant de s’interroger à son tour : « Qu’est-ce que cela va rapporter au Luxembourg ? » Autrement dit, « la justice fiscale pour toute la planète, c’est bien, mais nous devons d’abord voir notre propre intérêt ». Pour l’ADR, c’est « Luxembourg First ».

À l’UE de jouer

Le député Déi Lénk David Wagner a rappelé que cet accord est insuffisant, car il favorise les pays riches (membres de l’OCDE) au détriment des pays pauvres, qui ne bénéficieront pas des retombées fiscales correspondantes aux activités réelles des multinationales sur leurs territoires. L’élu de gauche a néanmoins acquiescé au maintien du « pilier 2 », tout en mettant l’accent sur la nécessité d’appuyer les négociations fiscales internationales en cours à l’ONU, un cadre pour l’instant rejeté par le Luxembourg.

Pour ne pas tomber dans le piège de voir Trump engager des négociations bilatérales avec chaque pays, l’ensemble des intervenant·es a soutenu l’importance d’une réponse européenne commune. Tout en jugeant que « les États-Unis sont nos alliés et le restent », le ministre CSV des Finances, Gilles Roth, s’est également dit convaincu que l’UE est le cénacle idéal pour sauver l’accord. Raison pour laquelle, a-t-il expliqué, il ne peut pas clarifier outre mesure la position luxembourgeoise, car elle dépendra du consensus dégagé par les Vingt-Sept.

Les partis d’opposition ont profité de ce débat pour interroger à nouveau Gilles Roth sur les retombées du « pilier 2 » pour les recettes fiscales nationales. Il devrait permettre d’engranger un surplus d’impôts de 200 à 240 milliards d’euros par an au niveau mondial. Alors que quelque 750 entreprises sont potentiellement concernées au Luxembourg, le gouvernement et les services fiscaux ne sont toujours pas en mesure de chiffrer ce que cela rapportera au fisc luxembourgeois en 2025, première année où cette imposition entre en vigueur.

Déjà amplement commenté, un article paru en octobre dans le journal « Fonction publique » de la CGFP raillait les services fiscaux pour leur incapacité à établir des prévisions sur l’impôt minimal. Son auteur, l’ancien haut fonctionnaire Paul Zimmer, listait quelques-unes des multinationales présentes au Luxembourg, comme ArcelorMittal (68 milliards de dollars de chiffre d’affaires) ou RTL Group (6,5 milliards). Il y évoquait aussi les gros acteurs américains qui ont pignon sur rue, à l’image d’Amazon (575 milliards), ou du plus discret fabricant de bagages Samsonite (2,7 milliards), dont l’activité au grand-duché est sans réelle substance. Il livrait une fourchette d’entrées fiscales possibles situées entre 5 et 15 milliards d’euros par an, à mettre en rapport avec les recettes totales de 22 milliards d’euros engrangées en 2023. De quoi donner un sacré coup de boost au budget national et résoudre sans difficulté la question des pensions ou du logement, ironisait l’auteur sur un mode corrosif.

Crédits d’impôt : le nouveau graal

(Photo : Darren Halstead/Unsplash )

Pour y voir plus clair, Gilles Roth a proposé aux député·es une séance plénière avec le directeur des impôts. Secret fiscal oblige, celle-ci se tiendrait à huis clos. Les spécialistes de la question conviennent qu’il est effectivement impossible de chiffrer avec précision les recettes que va générer le « pilier 2 » pays par pays.

Lors d’un échange en fin d’année dernière avec le woxx, Quentin Parrinello, directeur des politiques publiques à l’Observatoire européen de la fiscalité, expliquait cette difficulté par le mécanisme empêchant les multinationales de minimiser leurs impôts par le transfert de leurs bénéfices vers des paradis fiscaux. Le « pilier 2 » prévoit la possibilité de taxer les bénéfices dans les différents pays où opèrent les entreprises. Il illustrait cela par l’image d’un fabricant français de chaussures qui vend ses produits en Allemagne, mais transfère ses bénéfices dans une filiale au Luxembourg : « C’est au Luxembourg de taxer en premier à 15 %. S’il ne le fait pas, ce sera à la France de le faire, et si celle-ci ne le fait pas, ce sera l’Allemagne qui pourra l’imposer. »

Il n’est donc pas aisé de déterminer à l’avance ce que chaque pays fera ni par conséquent de savoir ce que cela lui rapportera exactement. Pour autant, Quentin Parrinello estimait qu’une fourchette aussi large, allant de 5 à 15 milliards, est difficilement compréhensible. En somme, tout dépendra de la volonté politique du Luxembourg de taxer réellement les multinationales, sachant que ce qui n’entrera pas dans ses caisses publiques abondera celles d’autres pays.

L’expert de l’Observatoire européen de la fiscalité affirmait aussi que les multinationales commençaient à trouver des parades pour ne pas payer leur juste part d’impôt. Il citait la multiplication des crédits d’impôt accordés aux entreprises par les États. Ils sont justifiés lorsqu’ils encouragent l’innovation, la création d’emplois ou l’investissement dans les énergies renouvelables. Mais, « dans certains cas, des crédits d’impôt vont être traités comme des subventions et donc permettre à des multinationales de payer moins de 15 %. On est en train de voir se transformer la compétition fiscale. Avant, elle se faisait essentiellement sur une baisse des taux d’imposition, et maintenant elle risque de se faire de plus en plus sur une course aux crédits d’impôt », alertait Quentin Parrinello.

Mais tout cela, c’était avant le retour de Trump. Le milliardaire ne s’embarrasse d’aucune subtilité. « Il avance comme un éléphant dans un magasin de porcelaine », a assez justement résumé le député David Wagner, lors du débat à la Chambre.


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