France : Banlieues : le grand abandon

La mort de Nahel, tué par un policier le 27 juin à Nanterre, a provoqué de violentes émeutes en France. Ces événements reflètent les rapports conflictuels et souvent racistes entre police et population des banlieues. Au-delà, elles mettent à nu les causes sociales profondes du malaise. Pour l’instant, Emmanuel Macron n’entend pas y remédier.

Des voitures calcinées à Uckange, après une nuit d’émeutes. (Photo : Gilles Kayser)

Ils et elles sont quelque 300 jeunes réuni-es place de la République ce vendredi 30 juin à 20 heures. Il y a les politisé-es comme les militant-es du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ou les anarchistes. Et il y a les jeunes venu-es des cités de la périphérie de Metz. Comme dans d’autres villes françaises au même moment, le rassemblement doit rendre hommage à Nahel et demander justice après la mort du jeune homme de 17 ans, abattu à bout portant par un policier, trois jours plus tôt à Nanterre. Les partis politiques, syndicats et associations à l’initiative de l’événement sont finalement absents, la manifestation ayant été interdite après trois nuits d’émeutes qui ont mis le feu aux quartiers populaires du pays. La réunion est néanmoins tolérée.

Une jeune femme dénonce les violences policières et scande « justice pour Nahel ! » face à la petite foule qui reprend en chœur. Puis les slogans se font plus agressifs et visent la dizaine de policiers positionnés à l’autre extrémité de la vaste place : « Tout le monde déteste la police », « Macron nous fait la guerre et sa police aussi ! » La tension monte, une poubelle s’embrase. Les forces de l’ordre quittent la place dans une apparente tentative de désescalade. En vain, une partie des jeunes étant bel et bien venue pour en découdre.

À quelques mètres de là, des CRS verrouillent l’entrée des rues piétonnes où se trouvent la majorité des boutiques et magasins du centre-ville. Plus loin, des hommes du Raid, une unité d’élite de la police, sont en embuscade, certains armés de fusils d’assaut.

Quand un officier lance l’ordre de dispersion avec un mégaphone, des cailloux s’abattent sur les policiers avant même la fin du décompte des trois sommations d’usage. Ces derniers répliquent par des tirs de lacrymogènes et les gendarmes engagent deux blindés dans ce qui semble surtout tenir de la démonstration de force. Les jeunes, dont certains ont à peine 13 ou 14 ans, se dispersent vers la gare, brisant des vitrines, incendiant des poubelles et des arbres sur leur passage. Ils ne font pas, dans l’immédiat, usage de fusées d’artifice, mais dans les heures qui suivent des groupes en déclenchent dans divers secteurs de la ville. À plusieurs reprises ces derniers jours, les émeutes ont débordé vers les centres-villes, parfois en plein jour, ce qui est nouveau.

Blessé en route vers Rodange

Pendant toute la durée de l’opération, les forces de l’ordre évitent au maximum le contact direct, se conformant aux instructions ministérielles destinées à prévenir un autre drame, par peur de voir la situation devenir incontrôlable dans le pays. Malgré cela, un homme de 27 ans, circulant à scooter, est mort à la suite d’un probable tir de lanceur de balles de défense (LBD), à Marseille, dans la nuit de vendredi à samedi. Son épouse assure qu’il n’était pas mêlé aux émeutes. Plus près du Luxembourg, à Mont-Saint-Martin, un autre homme a été gravement blessé à la tête et se trouve dans le coma, victime d’un tir du Raid, alors qu’il se rendait à Rodange en voiture, en compagnie de deux amis. Dans les deux cas, il s’agit de jeunes gens d’origine nord-africaine.

La mort de Nahel fait écho au racisme dans la police française. L’adolescent est, en 18 mois, la seizième victime d’un tir mortel pour un refus d’obtempérer. Il y a trois semaines, Alhoussein, un Guinéen de 19 ans, était tué à Angoulême dans des circonstances identiques. La majorité des jeunes morts sous les balles policières étaient d’origine maghrébine ou noirs. Le nombre de tués est en hausse depuis l’adoption de la loi Cazeneuve en 2017, qui a élargi l’usage des armes à feu à cette infraction au Code de la route. Mais, à l’évidence, la légitime défense n’est pas toujours avérée. À Nanterre, les policiers avaient d’abord déclaré que Nahel fonçait sur eux, avant d’être contredits par une vidéo postée sur les réseaux sociaux. « Le législateur a consacré l’ascendant de la police sur la jeunesse postcoloniale », dit le politiste Fabien Jobard dans un entretien au « Monde » du 6 juin.

La discrimination par la police française des jeunes issu-es de l’immigration est documentée par des médias, les défenseur-es des droits humains et des institutions internationales. « C’est le moment pour le pays de s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre », a déclaré Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, le 30 juin. Le gouvernement rejette fermement ces accusations, tout comme il s’enferme dans le déni face aux innombrables violences policières. Le tout est couvert par la justice, qui assure une quasi-impunité aux forces de l’ordre.

Jeux vidéo et réseaux sociaux

Dans les heures qui ont suivi la mort de Nahel, le gouvernement était aux abois, tentant de déminer un terrain qu’il savait explosif. Le président a ainsi qualifié d’« inexcusable » le tir du policier. Mais Emmanuel Macron refuse d’abroger la loi Cazeneuve, alors qu’elle prend de plus en plus des allures de « permis de tuer » pour la police. La demande de réforme profonde de l’appareil policier par l’opposition de gauche et les défenseur-es des droits humains n’est pas entendue.

Face aux émeutes, le président se défausse et accuse les jeux vidéo ou les réseaux sociaux, qu’il veut placer sous contrôle. Au premier rang des accusés figurent cependant les parents, à l’autorité jugée déficiente, alors que la moyenne d’âge des 3.500 personnes interpellées depuis le 27 juin est de 17 ans. En renvoyant toute la responsabilité sur les individus, le gouvernement agit dans la droite ligne néolibérale qui est la sienne. Il masque les véritables maux des banlieues ainsi que la misère sociale et économique entretenue depuis des décennies par incurie ou volonté politique.

Dans les quelque 1.500 « quartiers prioritaires » de l’Hexagone, le taux de pauvreté est 3 fois plus élevé que la moyenne nationale et le taux de chômage 2,5 fois plus important, selon l’Observatoire des inégalités. Pourtant, la majeure partie des populations des banlieues travaille, occupant les emplois les plus pénibles, les moins bien rémunérés et de plus en plus précaires. Mais les transferts sociaux y sont moins importants qu’ailleurs : 6.100 euros par allocataire et par an, contre 6.800 euros en moyenne nationale. Tout le contraire de ce que martèlent macronistes, droite et extrême droite, dans une évidente volonté de stigmatiser les populations vulnérables.

À gauche, la Nupes, rejointe par de nombreuses organisations, demande, là encore, une action profonde à même de « sauver la cohésion nationale ». Elle réclame des investissements massifs dans l’éducation, l’emploi, les services publics. Le 4 juillet, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a douché tout espoir dans ce sens. « Vous ne rétablirez pas l’ordre de la nation par le désordre des comptes publics », a déclaré le numéro deux du gouvernement. « Je ne crois absolument pas qu’un nouveau plan banlieues soit la solution », a-t-il poursuivi. Pour tout remède, il plaide pour « la fermeté » et « des sanctions exemplaires » à l’égard des émeutiers-ères.

Contrairement à ce qu’affirment Marine Le Pen et consorts, les banlieues ne sont pas « des territoires perdus de la République », mais bel et bien des territoires abandonnés.


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