L’OGBL et le LCGB se constituent officiellement en « front syndical uni » face à un gouvernement qu’ils accusent de détruire le modèle social luxembourgeois. Cette alliance inédite entre les deux premiers syndicats du privé promet de multiplier les actions dans les mois à venir, dont une manifestation nationale le 28 juin, si la coalition ne retrouve pas le chemin du dialogue et du compromis.

Patrick Dury et Nora Back (au centre) lors de la conférence de presse des syndicats. Le rendez-vous qui portait sur la présentation du « front syndical uni » a attiré un nombre inhabituel de journalistes. (Photo : Giulia Thinnes)
Des roll-up sur lesquels le rouge de l’OGBL rencontre le vert du LCGB et un site internet commun encore un peu embryonnaire : ça n’a presque l’air de rien, mais à défaut d’être révolutionnaire, c’est totalement « inédit », selon le mot employé par les syndicats. Ce mardi 28 janvier, les deux organisations ont officiellement formalisé le « front syndical uni » qu’elles opposeront dans les prochains mois aux attaques du gouvernement contre « les acquis sociaux des salarié·es et les libertés syndicales ». Il s’agit d’une nouvelle étape dans un rapprochement dicté par l’offensive conjointe menée par le gouvernement et le patronat contre le droit du travail et contre les syndicats, qu’ils tentent de délégitimer.
« Nous sommes à 100 % sur la même longueur d’onde, nous sommes obligés d’avancer ensemble et le travail que nous faisons est historique », affirme Nora Back, la présidente de l’OGBL, en introduction d’une conférence de presse tenue dans les locaux de la Chambre des salariés, la maison commune des syndicats. « Nous avons été obligés d’avancer vite », ajoute le président du LCGB, Patrick Dury, pour qui les deux syndicats ont « la même mission : celle de défendre les intérêts des salarié·es et de s’engager en faveur de la justice sociale. Nous ne laisserons pas le gouvernement déréguler le droit du travail ». Dans les faits, les deux syndicats multiplient déjà les conférences de presse et actions communes ces derniers mois, et ils ont pris l’habitude de se rendre ensemble aux rendez-vous dans les ministères.
Souvent présentés en frères ennemis, OGBL et LCGB collaborent pourtant déjà sur certains sujets, par exemple au sein de l’asbl Sidérurgie, fondée en 2002, suite au rachat d’Arcelor par Lakshmi Mittal. Le nouveau front syndical va cependant un cran plus loin, embrassant les questions sociales de leur ensemble. « On m’aurait dit ça il y a un an, je n’y aurais pas cru », confesse un syndicaliste, dont le sentiment est en grande partie partagé dans les rangs des deux organisations. « On a pris du Valium pour y arriver », plaisante, en marge de la conférence de presse, Carlos Pereira, membre du bureau exécutif de l’OGBL.
Il y a douze mois, les deux syndicats s’opposaient frontalement sur fond de campagne pour les élections sociales, période où les tensions sont logiquement les plus exacerbées. Mais cette nouvelle donne paraissait tout aussi improbable au lendemain des élections législatives d’octobre 2023, quand les deux syndicats campaient sur des positions divergentes à propos de l’attitude à adopter face au nouveau gouvernement. Tandis que l’OGBL se montrait d’emblée méfiant vis-à-vis de l’accord de coalition en soulignant son orientation néolibérale, le LCGB considérait qu’il s’agissait d’un programme avec lequel il pourrait travailler. Patrick Dury avait néanmoins relevé plusieurs bémols, le plus important étant la réforme des pensions, que ni le CSV ni le DP n’avaient annoncée dans leurs programmes électoraux.
Pochette-surprise pour les journalistes
Depuis, ses craintes se sont concrétisées et ont sans doute dépassé ce qu’il pouvait imaginer : un gouvernement dont le programme social et économique est un copier-coller conforme des desiderata patronaux et qui affiche une franche hostilité à l’égard des syndicats, dont la valeur représentative est remise en cause. Outre la réforme des pensions, que la coalition veut orienter en faveur des assureurs privés, le ton n’a cessé de monter sur la question de l’exclusivité dont disposent les syndicats pour la négociation des conventions collectives dans les entreprises, le travail dominical ou encore la libéralisation des heures d’ouverture dans le commerce.
Sur l’ensemble de ces dossiers, les syndicats dénoncent l’absence de dialogue, étant à chaque fois placés devant le fait accompli avec des projets de loi que le gouvernement sort de son chapeau sans information ou négociation préalables, comme cela est le cas sur le travail dominical et l’extension des horaires d’ouverture des magasins. Il s’agit d’une rupture avec la démocratie sociale en vigueur depuis cinq décennies, au cours desquelles a prévalu la culture du compromis entre partenaires sociaux. Ce jeu, duquel personne ne sortait jamais totalement gagnant ni totalement perdant, a « bien fonctionné, en assurant la stabilité et en permettant de construire un modèle économique et social performant », a encore martelé Patrick Dury ce 28 janvier.

Le travail que les deux syndicats font ensemble est «historique», selon Nora Back. (Photo : Giulia Thinnes)
Au cours de leur conférence de presse et comme ils en ont pris l’habitude, les deux syndicats ont fourni aux médias un dossier étoffé pour détailler à la fois leurs revendications et démonter les manipulations et autres contre-vérités avancées par le gouvernement. Cette fois, le dossier distribué aux journalistes ressemblait aussi à une pochette-surprise, puisqu’il contenait les copies d’échanges de courriers avec Luc Frieden, la Commission européenne et le ministre CSV du Travail, Georges Mischo. Ces documents, qui demeurent le plus souvent confidentiels, apportent de l’eau au moulin des organisations dans leur accusation d’absence de dialogue réel et témoignent des relations réciproquement exécrables qu’elles entretiennent avec le ministre du Travail. Celui-ci n’y met pas toujours les formes, comme le montre une lettre qu’il leur a adressée le 20 septembre dernier sur les conventions collectives et qu’il conclut le plus sèchement possible, sans la rituelle formule de politesse qui accompagne ce type d’échanges.
Le « front syndical uni » n’a cependant pas pour seule vocation de poser un constat identique entre OGBL et LCGB. Il se veut un moyen d’action pour contrer les plans de la coalition. Tant Nora Back que Patrick Dury invitent le gouvernement à la raison, en lui demandant d’engager un dialogue dépassant l’exercice de communication, avec des résultats concrets et positifs. « On nous présente comme des organisations opposées à la modernité, mais c’est inexact. Nous voulons accompagner les changements de la société et faire évoluer les choses, nous en sommes grandement demandeurs. Mais cela doit se faire au bénéfice des salarié·es et des pensionné·es », insiste la présidente de l’OGBL.
Cinq mois pour revenir à la raison
S’il n’est pas entendu dans les cinq mois à venir, le « front syndical » s’emparera de la rue à l’occasion d’une manifestation nationale qu’il prévoit d’organiser le samedi 28 juin, en espérant être massivement suivi. Une forme d’ultimatum auquel pourrait bien se joindre la CGFP, le syndicat des fonctionnaires, qui affirme sa solidarité avec les organisations du privé et se montre particulièrement virulent contre l’absence de dialogue social. Mais il faudra voir si ce front élargi résistera à la hausse de 2,5 % des traitements des fonctionnaires obtenue par la CGFP ce 29 janvier et qui semble conforme à ses attentes.
Avant d’occuper la rue, le « front syndical uni » va multiplier les actions ponctuelles dans les mois à venir. Premier rendez-vous programmé ce 5 février, avec une manifestation devant la Chambre des député·es « pour attirer l’attention des membres de la commission du Travail sur les revendications des syndicats et des salariés du secteur du commerce ». Parallèlement, les syndicats vont poursuivre leur campagne d’information commune. Leurs membres et le grand public pourront s’informer de l’évolution des dossiers et des actions à venir sur le site frontsyndical.lu, qu’OGBL et LCGB viennent de mettre en ligne.
Alors que la rupture devenait de plus en évidente, le premier ministre a tenté de désamorcer le conflit en promettant, le 14 janvier, une « table ronde sociale », menée sous son égide. Les syndicats en ont pris bonne note, mais restent perplexes, car l’annonce n’a, pour l’instant, été suivie d’aucune proposition concrète. « Nous vous saurions gré de bien vouloir lancer la table ronde le plus rapidement possible afin qu’elle puisse aboutir au résultat escompté par nos organisations syndicales », demandent la présidente de l’OGBL et son homologue du LCGB, dans un courrier adressé à Luc Frieden il y a quelques jours. Interrogé par le woxx, le ministère d’État confirme que « les modalités de cette concertation sont en cours de finalisation » et qu’il faudra attendre « un stade ultérieur » pour disposer de davantage d’informations sur les contours que devrait prendre cette énième table ronde mise en place par la coalition CSV et DP.
En attendant, le « front syndical » demande à Luc Frieden de suspendre « le processus législatif relatif aux différents dossiers qui doivent faire l’objet de la table ronde sociale ainsi que de ne pas organiser de nouvelle réunion au sein du Comité permanent du travail et de l’emploi d’ici la clôture de la table ronde sociale, afin que celle-ci puisse se dérouler dans les meilleures conditions possibles ». Autrement dit, tant que les grands sujets qui fâchent n’auront pas été discutés et résolus, les syndicats ne négocieront sur aucun autre dossier, soutient Nora Back.
Frieden l’entremetteur
Cette unité syndicale agace au plus haut point le gouvernement. Celui-ci n’avait pas anticipé ce scénario, qu’il considère un peu comme une alliance entre la carpe et le lapin. « Nous échangeons et travaillons ensemble chaque jour, aussi bien sur ces grands dossiers nationaux que sur les conventions collectives dans les entreprises ou la publication de communiqués communs », détaille pour sa part la présidente de l’OGBL. Dernière illustration en date, la conclusion d’une convention collective pour le personnel de Luxcargo Handling, que les deux syndicats ont négociée et annoncée conjointement. Un cas emblématique s’agissant du secteur aérien, sur lequel OGBL et LCGB se sont parfois violemment écharpés par le passé.
Si l’on est encore loin du « syndicat unique » qui a fait fantasmer nombre de prédécesseurs de Nora Back à l’OGBL, ce « front syndical uni » confirme un changement de paradigme peut-être aussi lié à un changement progressif de génération à la direction des deux centrales. Face au projet de réforme des pensions, Patrick Dury avait pressenti cette nécessité d’avancer de concert, sans pour autant constituer un seul syndicat : « Il serait incompréhensible pour nos membres que nous ne soyons pas unis, ce serait une faute stratégique de se diviser », avait déclaré au woxx le patron du LCGB il y a déjà plus d’un an.
Pour l’instant, le « front syndical uni » est une construction totalement informelle, sans fondement juridique. « Il y avait le feu et nous avons été obligés de réagir vite face aux attaques du gouvernement. Il n’est pas exclu que, à l’avenir, nous décidions de mieux le structurer », affirme Patrick Dury. S’il n’est pas question de mariage, cela prend tout de même des airs de fiançailles. Une romance qui doit beaucoup à Luc Frieden, devenu un entremetteur bien involontaire entre syndicats.
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