Grèce : Condamné au pragmatisme

La victoire (in)attendue d’Alexis Tsipras aux élections du 20 septembre met la gauche européenne dans l’embarras. Le choix entre une approche pragmatique ou révolutionnaire réapparaît.

(Photo : Wikimedia)

(Photo : Wikimedia)

Ce fut le caricaturiste du quotidien allemand « taz – die tageszeitung » qui croqua le mieux le dilemme de l’ancien et nouveau premier ministre grec. Dans son dessin, Tsipras consulte l’oracle de Delphes, et celui lui dit : « Alexis, tu vas toujours gagner les élections. Mais Merkel et Schäuble aussi. » Et, en effet, c’est son problème. Car même s’il a su se départir de la fraction la plus radicale de Syriza, et que la tentative de celle-ci de fonder une « Unité populaire » s’est soldée par un cuisant échec, sa marge de manœuvre ne s’en est pas vraiment agrandie. En Allemagne, les politiciens et les commentateurs n’en finissaient pas de répéter que, peu importe le résultat des élections, l’« accord » qui a été arraché cet été, malgré le « non » massif au référendum, devra être respecté.

Et les privatisations sont en train de se faire, au détriment de l’économie grecque. Comme celle des 14 aéroports les plus lucratifs du pays, qui iront à Fraport – une société allemande, partiellement aux mains du Land de Hesse. Qui pourra donc augmenter les prix des vols, nuisant au seul secteur économique grec qui a tenu un tant soit peu la route : le tourisme. Et ce ne sont pas les seules exigences des créanciers à être contre-productives, loin s’en faut.

Tsipras devra se battre pour chaque millimètre de marge de manœuvre : jusqu’ici les créanciers ont toujours bloqué les impôts sur les plus grosses fortunes grecques. Et il n’est pas certain que les voisins européens soient d’une grande aide quand il s’agira de l’aider à traquer les évadés fiscaux.

À part cela, la division à sa gauche prend forme. Ce n’est pas un hasard qu’au même moment où des représentants de la gauche européenne (Pierre Laurent du PCF, Gregor Gysi de Die Linke ou encore Pablo Iglésias de Podemos) ont soutenu Tsipras en Grèce, d’autres (son ancien allié Yanis Varoufakis – qui ne s’est d’ailleurs pas présenté aux élections – Oskar Lafontaine de Die Linke ou encore Zoé Konstantopoulou de l’Unité populaire et Jean-Luc Mélenchon du Front de gauche) ont publié un manifeste. Intitulé « Pour un Plan B », il préconise de « rompre avec cette Europe » et de commencer une « campagne de désobéissance aux pratiques européennes arbitraires et aux règles irrationnelles » pour en arriver à une « renégociation complète des traités européens ».

Avec Tsipras, le grand soir, c’est pas pour demain

Une bonne idée en somme. Encore faut-il être en mesure de la réaliser. Car Alexis Tsipras ne sera pas, en tout cas pas immédiatement, l’homme à faire plier Bruxelles et les créanciers. Pourtant, baisser les bras et se dire que de toute façon Tsipras ne peut que décevoir n’est pas une option non plus. Car il lui reste en poche certains arguments avec lesquels il peut négocier. Ainsi, dans la crise des réfugiés, où la Grèce est en première ligne, il a immédiatement pris le contre-pied des pays de l’Est et s’est montré un fidèle allié de la ligne plus « humanitaire » des pays européens occidentaux. S’il contribue efficacement à trouver des solutions à la plus grande crise humanitaire de ces dernières décennies, il peut se forger des alliances et sortir de son isolation. Et de l’autre côté, dans la crise de la dette grecque, il peut aussi essayer d’isoler l’Allemagne sur son refus strict et non réfléchi d’une restructuration. Vu que le FMI insiste justement sur une restructuration pour participer aux futures négociations, il peut très bien jouer la division de ses créanciers.

Cela n’empêche pas que Syriza doit faire à court terme de la politique politicienne pour améliorer la situation, une politique qui n’a rien à voir avec les discours révolutionnaires de ses opposants internes. Mais s’il reste une voie pour sortir de l’impasse grecque, il vaut mieux que ce soit Tsipras qui navigue qu’un des capitaines corrompus qui, pendant des décennies, ont mené la Grèce à la faillite.

 


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