Si l’on doutait encore de la suprématie des pays nordiques sur le polar européen, voilà que « Den skyldige », un premier film magistralement maîtrisé de bout en bout, vient mettre les points sur les i. Le film policier de l’été, mais peut-être aussi de l’année.
Relégué à la distribution des appels d’urgence avant d’être l’accusé d’un procès qui s’annonce délicat, Asger Holm s’acquitte de son travail avec juste ce qu’il faut de professionnalisme pour ne pas s’attirer plus d’ennuis. Se succèdent les victimes de vols qui avaient traîné dans les quartiers chauds ou les personnes en détresse soûles ou défoncées dans leur appartement propret. Holm répond avec politesse, devine les petits secrets de ses interlocuteurs et interlocutrices, envoie une patrouille le cas échéant. Toute une routine salvatrice… et puis un déclic : une femme contacte les urgences depuis la voiture de son ravisseur, prétextant vouloir parler à sa fille restée à la maison. Hameçonné, le policier va tout faire pour la sauver sans quitter le local où il est consigné.
À partir de cette situation de départ, le Danois Gustav Möller construit son film sur un parti pris de mise en scène redoutable et casse-gueule : le huis clos intégral. En effet, à aucun moment dans le film on ne sortira de la centrale des urgences. C’est dire s’il faut une bonne dose de créativité cinématographique pour capter l’attention. Mais le cinéaste, qui a dû boire les films d’Hitchcock au biberon, fait preuve pour son premier long métrage d’une maturité exceptionnelle. Les cadrages, la longueur des plans, la lumière, les soulignements musicaux et surtout l’usage particulièrement judicieux du silence comme générateur de tension permettent de matérialiser le monde extérieur comme s’il était montré. Holm appelle successivement la victime, son ravisseur, les commissariats de quartier impliqués ou son ancien équipier qu’il charge d’une mission pas vraiment réglementaire. Toutes ces conversations prennent vie à l’écran avec une bande-son extraordinaire, sans pourtant qu’on quitte le comédien Jakob Cedergren.
C’est une lapalissade d’affirmer que celui-ci propose un numéro d’acteur parfaitement convaincant. Sans lui, le film ne pourrait tout bonnement pas exister. Aidé par juste ce qu’il faut d’intrigue secondaire pour ne pas diluer l’essentiel, le Danois contracte les muscles de son visage avec savoir-faire pour montrer tour à tour l’excitation du chasseur qui traque ou le découragement du policier dont l’enquête n’avance pas, malgré l’urgence de la situation. Son engagement physique se conjugue avec la mise en scène pour capter l’attention sans qu’elle fléchisse à aucun moment.
Il y a déjà eu des précédents qui s’approchent de cette prouesse technique, évidemment. Mais là où « Buried », par exemple, réussissait à tenir la distance au prix d’astuces scénaristiques quelquefois invraisemblables, « Den skyldige » déploie une dextérité d’écriture digne des meilleurs polars nordiques. Le suspense, les retournements, une intrigue sordide et pourtant si crédible en sont les ingrédients, touillés avec savoir-faire et énergie. On s’y laisse entraîner en se forgeant sa propre opinion, et on en ressort d’autant plus chamboulé par les rebondissements que les apparences peuvent être mortellement trompeuses. Cinéphiles convaincus et dingues de polars trouveront par conséquent dans ce film une bonne dose de frissons, qui conviendra parfaitement à la chaleur d’un été caniculaire.
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L’évaluation du woxx : XXX