Impeccable description d’un Brésil d’en bas auquel le miracle économique des dernières décennies a peut-être donné une vie décente, mais certainement pas l’aisance, « Benzinho » est un film attachant et qui résonne longtemps après la séance.
À Petrópolis, tout ne va pas pour le mieux pour Irene, Klaus et leurs cinq fils, financièrement parlant. Leur maison se délabre peu à peu et les parents peinent à faire bouillir la marmite, lui dans son magasin de photocopies doublé d’une librairie menacée par le commerce en ligne, elle avec son petit boulot de vendeuse ambulante de textiles. Autant dire que la débrouillardise est de mise. Mais ce quotidien pas toujours rose est contrebalancé par des liens familiaux très forts. La famille est unie, très unie même, sous la houlette d’Irene, véritable mère poule.
Les petites habitudes se trouvent soudain bouleversées par deux événements simultanés : l’aîné, Fernando, gardien de handball talentueux, se voit proposer une place de professionnel en Allemagne et Sônia, la sœur d’Irene, débarque avec son fils pour échapper à un mari violent. Alors qu’Irene pensait enfin s’accorder un peu de repos après avoir réussi son diplôme à l’école secondaire, la voilà donc obligée de protéger sa sœur et d’organiser, à contrecœur, le départ de son fils.
Film réaliste à la brésilienne, « Benzinho » a l’immense mérite de ne pas traiter son sujet avec condescendance. On y sent un profond respect pour cette famille ni pauvre ni aisée, qui mène une vie simple et digne dans une société qui ne cesse de lui mettre des bâtons dans les roues. D’ailleurs, comme ses personnages constamment juchés sur le fil ténu qui sépare la pauvreté de l’aisance, le film oscille entre drame social et comédie légère sans pour autant basculer. Un difficile équilibre que le cinéaste Gustavo Pizzi réussit pourtant à installer, grâce notamment à une écriture retenue où l’exubérance se contrôle, comme dans cette scène où Irene évacue ses frustrations avec la musique à fond… mais le casque sur les oreilles. On ressent de la peine mais sans s’apitoyer, on rit de bon cœur mais pas aux larmes. Cette pondération qui pourrait sembler timorée est ici salvatrice, car garante de représentativité. Ce sont des millions de Brésiliennes et Brésiliens qui pourraient se retrouver dans cette famille Santi.
La Mère Courage, toutes proportions gardées, est incarnée par Karine Teles, également coautrice du scénario avec Gustavo Pizzi, son mari à la ville. C’est peu dire que la comédienne donne à son personnage un relief saisissant, tant elle sait lui insuffler tendresse, générosité et abnégation. Le film, tout comme la famille qu’il dépeint, repose presque exclusivement sur ses épaules. Il y a bien Klaus, le mari, toujours plein d’idées commerciales (très bon Otávio Müller, avec beaucoup de présence) ; mais celui-ci ne peut rivaliser avec l’hyperactivité maternelle d’Irene, qui couve autant qu’elle encourage. C’est un bonheur de voir évoluer Karine Teles à l’écran, à un tel point que, parfois, on se prend même à imaginer un peu plus d’adversité, afin de se délecter de sa débrouillardise et de son optimisme quasi omniprésent en toutes circonstances.
Si « Benzinho » n’est pas le grand coup de poing que pourrait être une sordide histoire de drogue dans les favelas, il raconte tout de même de façon équilibrée le quotidien d’une famille de cette partie de la population brésilienne qui aspire à se hisser définitivement vers la classe moyenne. Avec, en prime, un portrait de femme déterminée particulièrement attachant. Le film constitue donc une bonne idée de sortie cinéma avant les élections brésiliennes d’octobre, qui s’annoncent tendues et pourraient porter au pouvoir un candidat réputé extrémiste. Une perspective pas vraiment réjouissante pour toutes les familles Santi.
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L’évaluation du woxx : XX