Italie vs Europe : Le droit de critiquer

La formation chaotique d’un gouvernement aux relents europhobes en Italie a réveillé de vieux réflexes à Bruxelles. Or l’Italie n’est pas la Grèce, et la Commission ferait bien de ne pas ajouter de l’huile sur le feu.

(© pxhere)

 « Les marchés financiers vont apprendre aux Italiens à ne pas voter pour les populistes de gauche ou de droite » : le commissaire européen au budget et aux ressources humaines, le Souabe Günther Oettinger, peu connu pour sa subtilité, a encore une fois raté une occasion de se taire. En réagissant ainsi au sabordage du potentiel nouveau gouvernement populiste en Italie par le président Matterella – qui ne voulait pas d’un ministre de l’Économie critique de l’euro, quoique compétent –, il a implicitement admis son dénigrement de la démocratie. Le vote italien est pour lui – et d’autres – un crime de lèse-majesté contre le « diktat » de Bruxelles, une déviance contre le statu quo éternellement en faveur des marchés financiers et des banques qui est une priorité pour l’Union depuis toujours. Oettinger a fait le meilleur cadeau électoral possible aux populistes de droite de la Lega Nord et aux populistes tout court et flexibles du Movimento Cinque Stelle.

Dans un commentaire sur le site du « Guardian », Yanis Varoufakis, éphémère ministre des Finances grec qui a perdu sa bataille contre les réticences de Bruxelles (et surtout celles de son homologue allemand Wolfgang Schäuble, fétichiste de la dette), explique en détail comment ce message va être perçu et comment il va encore faire le jeu des populistes. Bref, Bruxelles, en maintenant ses positions inflexibles, risque de nuire aux forces démocratiques dans la troisième économie de l’Union.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Il ne sert à rien de chercher à qui imputer la faute de cet imbroglio, car la réalité est plus complexe : les problèmes italiens sont en grande partie faits maison et la conséquence d’un système politique notoirement instable installé après la guerre, aussi afin d’éviter l’avènement du parti communiste. La corruption, les liens entre la mafia et le pouvoir et un certain laisser-aller sont aussi parmi les causes de l’instabilité italienne. Mais l’attitude de la Commission européenne et des autres États membres n’a pour le moins pas arrangé les choses. L’abandon de la solidarité dans la « crise des réfugié-e-s », l’inflexibilité totale quant au pacte de stabilité et à la dette et finalement une certaine condescendance Nord-Sud déjà remarquée dans la crise grecque sont les ingrédients du cocktail toxique que l’Europe devra ingurgiter jusqu’à la lie – si elle ne change pas sa façon de fonctionner.

Si elle veut survivre, l’Europe du papa Juncker, celle des banques, du déni de la démocratie et des arrangements derrière des portes closes, doit mourir – pour renaître.

Car dire que le peuple italien est raciste intrinsèquement est une approximation aussi confortable que dangereuse. Certes, la Lega Nord est raciste et fasciste, pas de doute, et le Movimento Cinque Stelle a – en voulant s’allier à la Lega – démontré une fois pour toutes que les valeurs humanistes ne lui sont pas chères. Pourtant, identifier le vote populiste de droite uniquement à la veulerie et la connerie des électeurs/trices est faux. Une étude récente menée en Allemagne a démontré que le vote AfD se basait plutôt sur un ressentiment, celui de l’abandon par les structures étatiques, que sur un racisme pur et dur – celui-ci serait, selon l’étude, un des symptômes de ce ressentiment.

Et qui connaît l’Italie sait que de nombreuses régions, surtout au Sud, sont devenues carrément des zones de non-droit. Peu étonnant alors d’observer que les gens ne font plus confiance aux vieux partis, qu’ils soient de centre droit ou socio-démocrates. Car tous se sont pliés aux exigences de Bruxelles tout en délaissant les régions désaffectées. Pire encore, ils ont appliqué l’austérité « dictée » par la Commission européenne. Et la nomination d’un technocrate du FMI au poste de président du Conseil ne va pas arranger les choses.

Elle va plutôt encore renforcer la piètre image de l’Europe dans la population italienne. Ce qui ne va pas changer, tant que l’Union reste tellement inflexible et étouffe dans l’œuf toute discussion sur un changement des règles. Or, si elle veut être démocratique, elle se doit d’entendre les voix qui viennent de presque tous les pays européens – même de l’Allemagne – et lui disent que la primauté de l’austérité ne fait que le jeu des populistes. En clair : si elle veut survivre, l’Europe du papa Juncker, celle des banques, du déni de la démocratie et des arrangements derrière des portes closes, doit mourir – pour renaître. Malheureusement, et comme la piètre et plutôt égocentrique performance du premier ministre Bettel à Strasbourg a montré, on en est encore loin.


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