Tout en essayant de redorer son image, le Luxembourg n’a jamais renié sa préférence pour les « high net worth individuals » – au détriment de la justice fiscale.
Au moins pour les stock-options, on a des chiffres maintenant. Interrogé par trois députés (Eugène Berger, Diane Adehm et Gilles Roth) sur l’avenir de cet instrument controversé – que certains partis, dont le CSV qui l’avait jadis créé, voudraient éliminer –, le ministre des Finances Pierre Gramegna a donné le nombre de salarié-e-s profitant de ce régime fiscal et surtout communiqué le « déchet fiscal » engendré par cette mesure. En deux ans (2016 et 2017), les stock-options ont fait faire « pschiiiitt » à pas moins de 247 millions d’euros qui seraient sinon revenus au budget de l’État.
Le gouvernement (et le DP avant tout) n’affiche aucune volonté de se défaire de pratiques fiscales injustes destinées à quelques happy few.
Défendant cette mesure, même si elle est désormais révisée et ne coûtera qu’entre 60 et 80 millions par an au contribuable, Gramegna a insisté sur le fait qu’elle serait nécessaire pour que le pays reste compétitif, ainsi que pour assurer la croissance du secteur financier face au Brexit et pour combler le manque-à-gagner que signifiera l’implémentation du programme Base Erosion and Profit Shifting de l’OCDE.
Donc, il admet non seulement que le BEPS va heurter une partie de la place financière, mais indique aussi qu’il est prêt à prendre des contre-mesures pour que rien ne change. Détail piquant : les stock-options ne sont pas régulées par une loi, mais par des circulaires du ministère qui permettent des interprétations très larges au profit des managers – un cadeau donc dont ne profite pas la population tout entière.
En même temps, les députés Franz Fayot et Yves Cruchten ont eu moins de chance avec leur question sur les « fonds d’investissement spécialisés ». Ces fonds permettent à des « investisseurs avertis », donc plaçant plus de 125.000 euros, de défiscaliser une partie de leur portefeuille immobilier – comme l’a démontré un article du Land. Dans leur réponse, les ministres Gramegna et Hansen refusent la dénomination d’« instrument de défiscalisation » et affirment ne pas disposer de chiffres permettant de calculer le « déchet fiscal ».
Ces deux réponses dépeignent une même mentalité : au détriment de l’intérêt général, le gouvernement (et le DP avant tout) n’affiche aucune volonté de se défaire de pratiques fiscales injustes destinées à quelques happy few – qui ne représentent pas grand-chose dans la masse salariale du pays, mais beaucoup plus en capital. Et c’est là le propre de l’optimisation fiscale : elle est fondamentalement injuste, parce qu’il faut être riche pour pouvoir en profiter. Elle crée et creuse les inégalités sociales, qui à leur tour créent des frustrations engendrant les vagues populistes dont souffrent l’Europe et le monde actuellement.
Quid donc de la diversification économique dont des générations de politicien-ne-s parlent ? Certes, une diversification qui permettrait de garder le même haut niveau social au Luxembourg tout en se défaisant de la dépendance à la place financière n’est pas facile à mettre en place. Pourtant, tout ce que ce gouvernement a fait en matière de politique financière a été de s’adapter à l’ère post-Luxleaks tout en gardant le même objectif : faire du Luxembourg un havre de paix et de tranquillité pour les ultrariches. Non seulement cela ne correspond pas à la réalité du pays, mais cette politique prolonge et renforce la dépendance face à l’industrie financière – ce qui en fin de compte est aussi un poison pour notre démocratie.