Justice fiscale : Vanitas

Ces jeudi et vendredi, le Luxembourg reçoit une visite pas tellement amicale : la commission d’enquête du Parlement européen Pana – mise sur pied après les révélations des « Panama Papers ».

(Image : Wikicommons)

La commission d’enquête Pana n’est pas vraiment comparable à la commission spéciale « taxe », instaurée après les Luxleaks. À l’époque, c’est Martin Schulz – l’alors président du Parlement européen, devenu entre-temps le dernier espoir de la social-démocratie allemande – qui avait délibérément obstrué la volonté des députés européens de constituer une commission d’enquête régulière, dotée de plus de pouvoirs qu’une commission spéciale, pour respecter l’entente tacite avec son ami, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

Mais même une commission régulière ne peut pas forcer les gens à comparaître. C’est ce qu’ont constaté en amont de la visite les eurodéputés qui ont mis cap sur le grand-duché – après un passage par Malte notamment. Car nombreux sont les interlocuteurs qui ont décliné leurs invitations. Parmi eux, des banques comme Experta (succursale de la BIL avec quelque 1.700 compagnies panaméennes dans le temps), la Landsbanki et la banque Sarasin. Des personnalités aussi sont aux abonnés absents, ayant soit décliné, soit omis de répondre à l’invitation : les avocats d’affaires Albert Wildgen, Alain Steichen (d’ailleurs conseiller d’État et gourou du DP), Guy Arendt (secrétaire d’État à la Culture), l’impayable Marius Kohl, de même que Yann Baden de Transparency International et Carlos Zeyen d’Eurojust. Des Big Four, seulement PWC a accepté de rencontrer les parlementaires.

Mais tout cela ne semble pas avoir trop inquiété les autorités luxembourgeoises. Ayant confiance dans leur nouveau rôle d’élève modèle acquis pendant l’amère période post-Luxleaks et la présidence luxembourgeoise de l’Union, les députés de la commission parlementaire nationale en charge des finances se seraient, d’après nos informations, contentés de se rassurer entre eux : tout va bien se passer, car de toute façon tout était légal et le pays a bien transposé quelques directives. Pour Eugène Berger, le président de la commission des Finances, il suffirait de « montrer patte blanche » et le passage de la commission d’enquête serait aussi vite oublié qu’un rendez-vous chez le dentiste. Une seule voix s’est élevée contre le consensus général lors de la réunion de préparation ce mardi : celle de Franz Fayot, qui disait redouter le rendez-vous avec les collègues européens et demandait qu’on s’y prépare plus sérieusement.

L’élève modèle ?

Et il se pourrait bien qu’il ait raison, car les Strasbourgeois ne sont pas dupes et savent que le récit luxembourgeois du repenti et désormais meilleur ami de la transparence est aussi une manœuvre. Que certains députés y croient est probablement dû au phénomène des bureaucrates qui commencent à croire leurs propres mensonges, d’ailleurs admirablement décrit par Hannah Arendt dans son essai « Du mensonge à la violence » sur les Pentagon Papers.

Mais certains sont plus près des événements et donc plus clairvoyants sur l’importance de cette visite. Comme le ministre des Finances Pierre Gramegna, qui a dû jouer les pompiers post-Luxleaks. Il est pris entre deux feux, et sa stratégie semble aussi être double. Entre la tentation de vouloir questionner la légitimité de la commission d’enquête – qui aurait une compétence de politique européenne non transposable aux États membres -, les pressions de la place financière pour garder les niches ouvertes et les exigences de l’Europe et de la société civile, il doit trouver le juste milieu. Alors il joue sur tous les tableaux. D’un côté, il insiste officiellement sur les mises à jour et les directives transposées par son gouvernement et de l’autre, il essaie de pallier les défauts inhérents de l’administration luxembourgeoise, avec la révision de certaines politiques de son prédécesseur Luc Frieden qui avait délibérément laissé en sous-effectif certains services, comme celui des révisions de l’Administration des contributions directes.

C’est donc aussi sa nouvelle image que le Luxembourg risque de voir écornée avec le résultat de ces entrevues. Et on est loin d’une situation « win-win », car ne pas prendre au sérieux la commission d’enquête détériore davantage la crédibilité des instances européennes tandis que la prendre au sérieux impliquerait bien plus qu’une stratégie de communication et quelques réformettes : cela signifierait un changement de paradigme pur et simple du modèle luxembourgeois.


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