Ken Loach : Une Palme pas volée


Après le discours enflammé de Ken Loach à Cannes, c’est peu dire qu’on attendait « I, Daniel Blake » avec impatience. Et on n’est pas déçu.

Ne pas craquer lorsqu’on en est réduit à s’approvisionner à la banque alimentaire : pas une sinécure.

Ne pas craquer lorsqu’on en est réduit à s’approvisionner à la banque alimentaire : pas une sinécure. (© Ken Loach)

« Nous sommes au bord d’un projet d’austérité, qui est conduit par des idées que nous appelons néolibérales qui risquent de nous mener à la catastrophe. Ces pratiques ont entraîné dans la misère des millions de personnes, de la Grèce au Portugal, avec une petite minorité qui s’enrichit de manière honteuse. » Applaudi à tout rompre par le milieu restreint du cinéma lors de la remise de la Palme d’or en mai dernier, Ken Loach est apparu, à quatre-vingts ans, plus combatif que jamais. Contrastant avec sa sobriété habituelle dans la mise en scène, la véhémence de son discours a immédiatement fait le tour des réseaux sociaux.

Il fallait donc qu’« I, Daniel Blake » ne déçoive pas les attentes et ne verse pas dans le cinéma social mélo un peu mièvre. Alors, d’entrée, le décor est planté : pas d’image, mais une conversation qui résume en quelques répliques l’atmosphère du film. Daniel Blake, un menuisier sexagénaire sortant tout juste d’un accident cardiaque, répond à des questions destinées à évaluer son degré d’invalidité. Un véritable dialogue de sourds, mené par une consultante mandatée par le ministère de la Santé. Figure du bon sens chez un cinéaste qui cultive volontiers le manichéisme, Daniel ne tarde pas à pointer les failles du système : son interlocutrice ne dispose d’aucun diplôme médical et les questions évitent soigneusement le sujet le plus logique, l’état de son cœur. Le voilà donc apte à la recherche d’un emploi, contre l’avis de ses médecins, sous peine de se voir supprimer ses maigres allocations.

Comme d’habitude, Ken Loach s’attache à dénoncer les errements d’un système d’État-providence en déshérence, où l’efficacité et la chasse aux profiteurs ont remplacé la solidarité depuis belle lurette. Une solidarité que Blake, malgré ses difficultés, a pourtant chevillée au corps. Lorsqu’il rencontre Katie, jeune mère célibataire qui vient d’emménager à Newcastle avec ses deux enfants, son premier geste est de la défendre contre les fonctionnaires psychorigides de l’agence locale de l’emploi. Puis il tisse des liens d’amitié avec la petite famille, où le manque d’argent et le chauffage coupé sont remplacés par la chaleur humaine.

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(© Ken Loach)

Le réalisateur filme comme d’habitude avec discrétion, et la première demi-heure d’« I, Daniel Blake » pourrait être perçue comme une énième déclinaison de ses thèmes de prédilection. Mais ce serait sans compter sur sa capacité à faire basculer un film en un plan. Ici, ce sera cette scène poignante où Daniel accompagne Katie à la banque alimentaire. En un instant, on comprend que l’illusion qu’entretenaient les personnages quant à leur situation nous a contaminés.

L’identification fonctionne donc parfaitement et, malgré le dualisme bien-mal revendiqué du scénario, on entre de plain-pied dans l’émotion. Si les larmes coulent à la fin, elles n’ont pas été provoquées par des artifices et des faux-semblants. Dûment documenté, notamment par le scénariste Paul Laverty, le cinéma de Ken Loach reste entier et empathique, toujours du côté des exclus d’un système tentaculaire. Un choix matérialisé par l’absence d’acteurs vedettes. Les deux comédiens principaux, dirigés avec maîtrise, sont toujours dans le ton.

Dans le contexte social actuel, où le Brexit se télescope avec les manifestations contre le projet de loi travail, cette production franco-britannique sonne juste. Peut-être bien qu’elle ne changera pas le monde, mais elle l’éclaire en tout cas par son regard acéré et jamais misérabiliste. Une grande Palme d’or.

À l’Utopia.

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