Laura Bispuri
 : Mères, je vous aime


Comme coupé du monde moderne, le petit bout de Sardaigne de « Figlia mia » offre ses paysages sauvages en hommage à la maternité, qu’elle soit biologique ou adoptive. Un film envoûtant, quoique parfois trop contemplatif.

L’innocente, la débauchée et la sainte : la trinité de « Figlia mia » ne dédaigne pas les archétypes. (Photos : Cinemien)

Il y a la mer d’abord, nourricière, qui prodigue poissons ou anguilles et fait vivre tout ce petit village de Sardaigne qu’on dirait quasi autarcique, éloigné du bouillonnement technologique des villes. Il y a bien quelques touristes anglophones, mais ils restent anecdotiques. Et il y a les mères, auxquelles la réalisatrice Laura Bispuri s’attache tout particulièrement. Une mère biologique un peu foldingue et délurée, Angelica, et une mère adoptive aimante et hyperprésente, Tina : deux figures maternelles pour la timide et renfermée Vittoria, dix ans. Après une décennie, difficile de garder encore le secret de naissance, car secret il y a, d’autant que la ressemblance physique pointe son nez : la rousse Vittoria n’a pas du tout le teint mat et les cheveux de jais de sa mère adoptive, mais fait écho à la blondeur solaire de sa génitrice.

Alors, lorsque la fillette rencontre Angelica par hasard à un rodéo, elle se sent attirée par cette femme dont elle comprendra assez vite qu’elle l’a mise au monde. Elle commence à la fréquenter, juste au moment où celle-ci est sous le coup d’une expulsion pour dettes. Être une mère biologique ne suffit cependant pas pour construire une relation équilibrée et saine, surtout lorsqu’on a un petit grain de folie comme Angelica.

Cinéaste jusqu’à la dernière molette de réglage, Laura Bispuri installe une ambiance à grands coups de caméra à l’épaule et de saturation de couleurs, dans un paysage qui oscille entre la fertilité de la mer et l’aridité des étendues de terre. Truffant aussi son film de métaphores – la profusion de grottes, l’existence d’un trou donnant accès à un supposé trésor où seule la petite Vittoria peut se glisser –, la réalisatrice ne ménage pas ses efforts pour assortir sa célébration de la maternité d’un véritable style. Le choix fonctionne à plein, car malgré le rythme plutôt lent de l’histoire et des ressorts de scénario plutôt lâches, on entre dans « Figlia mia » comme dans une expérience immersive. L’abrutissement de la chaleur gagne, la torpeur colle au siège de la salle de cinéma. On en vient presque à pardonner les ficelles un peu faciles ou les personnages secondaires seulement esquissés.

C’est qu’un autre choix de Laura Bispuri est de se concentrer avec obstination sur le trio, presque la trinité, que forment Vittoria, Angelica et Tina. Et cela dans une Sardaigne dont on pensait l’omnipotence masculine traditionnelle omniprésente, excusez du peu. Deux mères pour une fille, trois caractères particulièrement différents : la matière à explorer est déjà riche, et la cinéaste ne s’en prive pas. Évidemment, elle a à sa disposition deux des plus formidables actrices italiennes du moment, Alba Rohrwacher qui joue la folie mélancolique comme personne et Valeria Golino qui sait insuffler à la mère possessive une fragilité bienvenue. S’ajoute la jeune Sara Casu, étonnante de maîtrise et rayonnante de rousseur. Comment ne pas s’enthousiasmer devant ces trois comédiennes ?

Dans un tel film basé sur l’ambiance et les relations entre les personnages, on attend la fin au tournant. Qui, de la mère biologique ou de la mère adoptive, va s’imposer ou être choisie ? C’est là que la frustration débarque, car Laura Bispuri nous gratifie d’une séquence finale ouverte à toutes les interprétations, elle qui avait jusque-là creusé un sillon si fécond et précis. Il faut bien revenir au réel et émerger, la tête pleine d’images d’un film qui fait au fond davantage appel aux sens qu’à la réflexion profonde.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XX


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