L’ère du leak : Volontés transparentes

Avec les révélations Snowden, le monde globalisé est entré dans l’ère du leak. Est-il devenu plus transparent ou juste plus méfiant depuis ?

(Photo : Wikimedia commons)

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Il est devenu la hantise de tous les politiciens ou chefs d’entreprise : le leak. Souvenons-nous des mines catastrophées de Xavier Bettel, Pierre Gramegna et de leurs coalitionnaires quand, par une journée d’hiver 2014, ils ont dû expliquer à la presse locale et internationale que des tax rulings avaient fuité en masse, et que désormais le monde entier savait que le Luxembourg était prêt à aider des multinationales à se défaire de taxations trop gênantes pour leurs actionnaires.

On a appelé ces fuites, à juste titre, des révélations heureuses – pour celles et ceux qui n’appartiennent pas aux sphères où les intérêts politico-économiques célébraient à l’abri des regards indiscrets de la populace des noces heureuses. Car il est vrai qu’à partir des Luxleaks (suivis des Panama Papers, des Bahamas Leaks et de tous ceux qui nous attendent encore), la conscience de l’évasion fiscale – ou plus pudiquement « optimisation fiscale » – s’est répandue bien au-delà des cercles de quelques chercheurs et journalistes spécialisés. Tout comme les documents publiés par Edward Snowden ont contribué à promulguer une prise de conscience plus générale de la dimension de la surveillance orchestrée par les services secrets de par le monde.

L’ère du leak a forcé certaines institutions à prendre des positions illogiques, voire limite malhonnêtes.

Pourtant, croire que ces vagues de révélations sonnent le glas d’une ère du secret serait bien naïf. Un leak de cette semaine tend à le prouver. Le papier, issu de la commission Juncker, traite justement de la nouvelle stratégie « antileak » que celle-ci prévoit d’adopter ce vendredi 30 septembre. C’est le chef lui-même qui l’a voulue. Et voyant les eaux troubles qu’il a dû parcourir suite aux révélations Luxleaks, on le comprend. Ce qu’on comprend moins, c’est le fait que sa commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, s’appuie justement sur ces révélations pour forcer de grandes multinationales comme Apple et autres à payer leurs impôts, justement. Plus drôle encore, cette même commissaire a loué les lanceurs d’alerte Antoine Deltour et Raphaël Halet pour leur courage. Alors qu’en même temps la justice luxembourgeoise ne manque pas de zèle pour les enfoncer, tout en déplorant un manque d’encadrement du droit européen concernant les lanceurs d’alerte. Et nous ne mentionnons même pas les scandales qui viennent d’éclater autour de l’ancienne commissaire Neelie Kroes ou de l’ex-président de la Commission européenne Barroso – qui font toujours vibrer les coulisses bruxelloises.

Ce comportement de la Commission européenne frôle la schizophrénie : d’un côté, on essaie une mise en scène de la transparence et, derrière les coulisses, on resserre les boulons. Mais ce n’est pas tout. Dans le privé, la paranoïa fait des vagues, comme on l’a par exemple entendu de la bouche de Raphaël Halet, quand dans le procès Luxleaks il racontait les mesures de sécurité draconiennes mises en place après la publication des documents révélés par son collègue.

Ainsi, l’ère du leak n’est pas uniquement une nouvelle ère de transparence, mais aussi une époque de méfiance accrue entre les citoyens d’un côté et le complexe politico-économique de l’autre. Une méfiance qui, par les temps instables qui courent, est d’autant plus nuisible à la paix sociale et à la stabilité démocratique de nos sociétés. Ce qui devrait, en théorie, faire réfléchir nos dirigeants – car ils jouent gros.


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