Les Afrodescendantes face au Covid-19

Les femmes afrodescendantes risquent d’être particulièrement exposées aux retombées de la pandémie, comme le rappelle Antonia Ganeto du Réseau afrodescendant Luxembourg Finkapé dans une lettre ouverte.

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La pandémie Covid-19 a mis à mal les activités économiques et sociétales à travers le monde. « Nous sommes tous dans le même bateau », affirment certains, puisque ni la couleur de peau ni un portefeuille bien garni ne mettent à l’abri du virus. Pourtant, le bateau dispose de différentes classes d’embarcation : tandis qu’en première, on se plaint de l’inactivité et de l’ennui, ceux de seconde et troisième classe traversent une crise sans précédent. Le virus est un révélateur des injustices socioéconomiques frappant de nombreuses femmes, dont les afrodescendantes, qui risquent d’en payer le prix fort…

Lors de la grève des femmes du 7 mars, la plate-forme JIF-Luxembourg, dont fait partie le réseau afrodescendant Finkapé, avait déjà choisi de mettre l’accent sur le travail du « care », rémunéré et non rémunéré. Mobilisé en seconde place dans le défilé, derrière les agentes de nettoyage, le bloc des Afrodescendantes a également dénoncé la souffrance particulière que leur vaut leur couleur de peau. Pourtant tenantes et tenants « du même bateau » nous diront : pourquoi insister sur la spécificité des afrodescendantes dans le cadre de cette crise ? Parce qu’en temps normal, ces femmes cumulent déjà la charge mentale et la charge raciale. De ce fait, elles risquent d’être particulièrement exposées aux retombées de la pandémie.  Si rien n’est entrepris contre les préjugés structurels qu’elles endurent – au-delà de leurs conditions sociales, origines et langues – sexisme et le racisme ordinaire ne s’estomperont pas. Ni pendant ni après le confinement !

La crise économique annoncée risque en effet de servir de prétexte pour enfoncer davantage cette problématique dans un déni confortable. De quelle problématique parlons-nous ? Concrètement, cela va des froncements de sourcils silencieux aux préjugés sur les compétences d’une personne afrodescendante, des discriminations à l’emploi et au logement, aux contrôles au faciès et aux stéréotypes exotiques et sexuels… Quant aux femmes de ménage noires, les aides à domicile noires, les infirmières noires, il faut craindre qu’elles écopent d’une triple peine ! Primo : la perpétuation de conditions de travail déplorables, comme en temps « normal ». Secundo : être surexposées à l’épuisement et la maladie, l’angoisse d’attraper le virus comme de le transmettre. Tertio : subir chaque jour un surcroît de racisme ordinaire, une éventuelle défiance exprimée par des patient-e-s ou des membres blancs du personnel. À cet égard, soulignons que le racisme en milieu hospitalier demeure un sujet tabou comme une problématique à davantage objectiver afin de mieux la dénoncer !

La précarité, facteur aggravant

Parmi les personnes les plus vulnérables figurent aussi celles qui, avant le confinement, parvenaient à joindre les deux bouts avec grandes difficultés. Pour rappel, au Luxembourg : 18,6 % de la population vit autour du seuil de pauvreté ; une situation inadmissible pour un pays comptant parmi les plus riches du monde… En y regardant de plus près, on observe que les citoyen-ne-s afrodescendant-e-s, notamment les Capverdien-ne-s, sont particulièrement touché-e-s par cette précarité. Alors qu’en 2015 le salaire moyen de l’heure était de 25,7 €, les Capverdien-ne-s percevaient en moyenne 13,7 € ; les Portugais-e-s : 15,27 € ; les Luxembourgeois-e-s : 28,81 €. Soit deux fois plus qu’un-e Capverdien-ne. L’étude du Cefis, effectuée en 2018, a aussi objectivé la grande vulnérabilité économique de cette communauté, qui représente la plus importante diaspora africaine au Luxembourg. Mais la moitié d’entre elles occupe des emplois pénibles, mal rémunérés, avec une forte représentation dans le secteur du travail intérimaire.

Certaines femmes capverdiennes risquent donc de subir de plein fouet les conséquences du confinement. À l’instar de celles arrivées depuis peu au Luxembourg, possédant une connaissance limitée des langues nationales, qui n’ont pas d’autre choix que de décrocher un emploi dans la restauration ou, très souvent, comme femme de ménage déclarée ou non déclarée. Ces situations précaires sont surmontables tant que ces femmes sont en couple et parviennent à cumuler deux salaires pour couvrir les frais de logement exorbitants.

Problématique des mères célibataires

Les mères célibataires représentent une population particulièrement exposée en période de confinement. Au Luxembourg, 80 % des familles monoparentales ont une femme à leur tête. Suite à la pandémie, nombreuses sont celles qui ont perdu leur travail parce que les familles qui les employaient ont choisi de se passer de leurs services. Et si d’autres disposent encore de leur maigre salaire, la situation reste difficile… à la maison.

Prenons la situation de la ressortissante capverdienne Estela. Elle travaille 40 heures par semaine auprès de six employeurs-euses, entre trois localités différentes, et effectue ses trajets en bus. Ses patron-ne-s l’ont heureusement aidée à remplir la demande pour un congé parental, autrement elle serait sans ressources. Mais la scolarisation à domicile s’étant généralisée, Estela, volontaire et courageuse, se sent parfois « dépassée ». Dépourvue des connaissances linguistiques et de l’équipement informatique nécessaires, elle ne parvient plus à aider son fils à faire ses devoirs. La fermeture des maisons relais l’a aussi contrainte à s’approvisionner plus souvent pour cuisiner les repas que son fils prenait dans cette institution parascolaire. Payée au revenu minimum non qualifié, avec un loyer de 1.280 €, chaque euro compte et manger est devenu un défi quotidien pour cette famille monoparentale. Cet exemple, parmi tant d’autres, montre que la fracture sociale et numérique, déjà préoccupante, s’est aggravée avec le confinement et risque d’impacter à long terme l’avenir scolaire et socioéconomique de ces personnes.

Recrudescence du racisme ordinaire ?

Question cruciale : comment protéger la santé publique tout en garantissant les droits fondamentaux de toutes et tous dans le combat contre le coronavirus ? Pour contribuer à y répondre, Michael O’Flaherty, directeur de l’Agence pour les droits fondamentaux de l’Union européenne, a déjà annoncé le lancement de plusieurs études dans différents domaines. Parmi celles-ci, une recherche sur les restrictions imposées dans le cadre de la pandémie en corrélation avec la xénophobie et les discriminations. Apprenons de l’histoire, des conséquences des pandémies antérieures, telles qu’Ebola et le VIH qui ont mené à la stigmatisation et la discrimination de groupes déjà extrêmement vulnérables. Les temps incertains que nous vivons sont propices à la désignation d’un bouc émissaire… Il revient donc aux personnes privilégié-e-s de rester vigilant-e-s, de faire preuve d’une solidarité sans faille avec les plus fragilisé-e-s et oublié-e-s du système. Nous contenterons-nous d’applaudir à 20 heures ? Ou, plus que jamais, exigerons-nous plus de temps, plus d’argent et plus de respect pour tous les citoyens et citoyennes du Luxembourg ? Le RAL Finkapé s’inscrit résolument dans la seconde perspective. Pour toutes les femmes comme les groupes les plus vulnérables, les plus touchés par la précarité, il faut maintenir, renforcer et adapter le soutien à leurs nouveaux besoins et poursuivre le combat contre le racisme structurel par la sensibilisation dans les écoles et ailleurs.


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