Les Cahiers luxembourgeois : numéro 1, année 2018

Notre article précédent sur les Cahiers luxembourgeois posait la question du renouvellement de ceux-ci dans leur nouvelle mouture, avec notamment la recherche de talents émergents. Côté littéraire, la mission est remplie avec cette livraison, puisqu’elle propose une nouvelle de Samuel Hamen, tout récent arrivant sur la scène littéraire (on connaissait déjà ses textes critiques) avec le roman « V wéi vreckt, W wéi Vitess ». Hamen nous embarque dans une enfance rêvée avec « Elo », où l’imaginaire se conjugue avec, probablement, de véritables souvenirs pour quelques pages où l’on est pris d’une nostalgie pas désagréable.

Deux poèmes inédits de Jean Krier et quelques poèmes d’Olivier Vandivinit assurent le quota de vers du numéro. Mais le télescopage le plus intéressant, dans le cadre des objectifs de plateforme de création littéraire au grand-duché, est celui qui s’opère entre les contributions d’Antoine Pohu et de Jean Portante. Le poète luxembourgeois bien connu y livre un extrait de son roman en chantier, « Œdipe ne ferait pas ça » ; on y retrouve ses thèmes de prédilection, ici matérialisés par la chronique napolitaine d’une émigration à venir aux États-Unis. Le style est maîtrisé, même si, évidemment, c’est un roman encore sur la table de travail. Mais l’essentiel y est, et on sent la maturité d’une écriture qui, depuis longtemps déjà, a pris l’assurance de sa légitimité. Au contraire, la courte nouvelle d’Antoine Pohu, pour laquelle il a reçu le prix Laurence 2018 récemment, montre une fragilité d’écriture qui pourtant semble vouloir se solidifier : certains passés simples sont iconoclastes (involontairement, s’entend), certaines concordances des temps sont bancales, certaines prépositions sont tremblantes… et cependant on perçoit l’envie d’écrire qui affleure. On souhaite à Pohu de continuer à travailler son écriture et de revenir dans ce laboratoire que sont les Cahiers.

Côté « scientifique », on peut lire un retour par Vincent Artuso lui-même sur le rapport désormais connu sous son nom : contribution intéressante au débat, où l’auteur se lance sans filet et révèle s’être coltiné à un « Luxembourg profond », dont les opinions s’affichent loin des humanistes discours publics. Édifiant. Mais le clou de ce numéro, c’est bien le dossier « Lëtzebuerger Literaturen am Verglach », issu d’un récent colloque et dont les contributions seront à suivre aussi dans la prochaine édition des Cahiers. Dans son introduction, Jeanne Glesener insiste sur la nécessité, pour les études de littérature comparée d’un pays multilingue comme le Luxembourg, de mener des recherches « intralittéraires », c’est-à-dire de procéder à des comparaisons d’œuvres écrites dans les diverses langues qui composent le corpus de textes nationaux, sans pour autant négliger les influences linguistiques et sociétales des contrées alentour.

Ian De Toffoli (par ailleurs membre du comité de rédaction des Cahiers) s’y colle avec une étude sur les racines gréco-latines de « Maus Kätti » d’Auguste Liesch et de « Marc Bruno. Profil d’artiste » de Félix Thyes. L’occasion de rappeler qu’en littérature, le personnage du génie solitaire qui crée un chef-d’œuvre est trompeur, autrices et auteurs ayant baigné dans une mer de contes, de récits et de mythes que leur talent permet le plus souvent de recycler pour en tirer une version personnelle. Ludivine Jehin, à travers les figures et traces littéraires de Nicolas Konert, Aline Mayrisch-de Saint-Hubert et Marie-Henriette Steil, évoque les « Folles figures de garçonnes » ; l’allitération du titre reflète l’effervescence de l’entrée dans la modernité féministe au petit Luxembourg. Enfin, Anne-Marie Millim, à partir de poèmes publiés dans le journal « Der arme Teufel », met en lumière la tentative de réhumanisation des auteurs ouvriers suite à leur déshumanisation par les écrivains bourgeois.

Si cette livraison des Cahiers est au fond moins littéraire que scientifique, à l’aune du nombre de pages consacré aux deux sections, il n’en reste pas moins qu’elle constitue un espace de création et de réflexion de bonne facture, que celles et ceux qui se passionnent pour la littérature en général et la littérature luxembourgeoise en particulier devraient encore une fois apprécier.


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