Le CNL célèbre les trente premiers ouvrages récompensés par le prestigieux prix littéraire avec l’exposition « Imaginer Servais ». La littérature y est le point de départ de créations sonores et visuelles aussi variées que les livres dont elles s’inspirent.
Deux rangées de cabines similaires, fermées par des rideaux blancs, identifiées par des macarons au sol avec titre, date et auteur ou autrice : c’est d’abord une sensation étrange, quasi kafkaïenne, qui s’empare de qui franchit le seuil de l’exposition. Un coup d’œil prolongé à terre confirme que l’agencement n’est ni alphabétique ni chronologique. On écarte les rideaux, on entre dans une cabine. Un sentiment de minimalisme se dégage : visserie apparente, œuvre picturale cernée par beaucoup de blanc, et puis ce tout petit boîtier où l’on branche le casque fourni à la réception. Commence alors l’écoute de la création sonore de Martin Engler, Paul Ford et Luka Tonnar, tout en détaillant l’impression photographique choisie par Véronique Kolber.
La photographe indique que ses clichés « ne représentent pas de simples illustrations des livres ». Ils ont « émergé de ses archives » à la lecture, constituant ainsi un kaléidoscope de sensations traduites pour la rétine. La mise en espace des œuvres picturales varie pour chaque cabine. Si on peut trouver de sages clichés uniques – de différentes tailles toutefois –, des épingles (associées à l’ouvrage primé l’année dernière, « wie viele faden tief » d’Ulrike Bail), un porte-cartes postales qui tourne, un cadre doré ou bien encore des photos au sol ou au plafond viennent rompre la monotonie qui pourrait s’installer si l’expérience de visite était trop uniforme. Le lien entre les photographies et les livres évoqués peut être assez ténu, mais aussi très métaphorique. Ainsi, on retrouve dans les deux cabines consacrées à Jean Portante, lauréat en 1994 et 2016, la même image ; la deuxième version est cependant de guingois… puisque le roman primé se nomme « L’architecture des temps instables ».
L’amour des livres
Les créations sonores sont de petits clips où se mêlent les voix des auteurs ou autrices avec celles d’autres personnes ainsi qu’avec des bruitages ou des musiques. La sensation d’intimité avec l’œuvre littéraire, que l’espace exigu des cabines et les photographies amorcent, s’en trouve renforcée. Casque vissé aux oreilles, on plonge dans une atmosphère, une langue, un style. La diversité des écritures et des genres qu’entend récompenser le prix Servais est parfaitement incarnée par l’éclectisme sonore proposé. Si la voix d’Anise Koltz additionnée d’effets est aussi précise et concise que ses poèmes (pour les enthousiastes de la poésie, José Ensch bénéficie également d’un traitement sonore avec effets très réussi), les concepteurs font en outre preuve d’espièglerie en sélectionnant des arrangements insolites. En témoigne cette version façon scie musicale de l’aria « Lascia ch’io pianga » du « Rinaldo » de Haendel, qui accompagne le clip consacré à « Königsberg » de Joseph Kohnen.
Conçue par la directrice Nathalie Jacoby et la conservatrice Ludivine Jehin, « Imaginer Servais » a disposé du concours de l’ensemble de l’équipe du Centre national de littérature. La volonté de mettre en valeur le patrimoine littéraire luxembourgeois au moyen d’une approche sensorielle qui va au-delà des mots y est omniprésente, mais, bien évidemment, l’exposition ne serait pas complète sans la possibilité de consulter à la fin les ouvrages évoqués. Littérature primée, accompagnement photographique, immersion sonore : de ce cocktail mélangé avec expertise se dégage un amour des livres contagieux.
Jusqu’au 30 mars 2023 au Centre national de littérature.
Le CNL édite à cette occasion le livre « Drësseg Rieden », qui contient l’ensemble des discours de réception des lauréat-es.
Et le trente et unième ?
La Fondation Servais a annoncé lundi son lauréat 2022 : il s’agit de Guy Helminger, pour le roman « Lärm », chez Capybarabooks. L’auteur est récompensé pour la seconde fois, 20 ans après « Rost », paru à l’époque aux éditions Phi.
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