Manif du 28 juin : le vif du sujet

L’OGBL et le LCGB ont réussi leur pari en réunissant 25.000 personnes lors de la manifestation du 28 juin, à Luxembourg. Ils posent désormais leurs conditions pour revenir à la table des négociations, alors qu’une tripartite, qui ne dit pas son nom, doit se tenir ce 9 juillet.

Manif syndicats Frieden

Dans le cortège de la manifestation contre la politique gouvernementale, le 28 juin. (Photo : Giulia Thinnes)

Finalement, Luc Frieden n’a pas gambadé dans les bois. Il a suivi le direct diffusé par RTL sur la manifestation du samedi 28 juin depuis son domicile. Le premier ministre en fait l’aveu à l’antenne quelques heures après la dispersion du cortège rassemblé par l’OGBL et le LCGB. « C’était une manifestation réussie », reconnaît un Luc Frieden bon joueur, notant au passage qu’il s’agit de l’une des plus grandes manifs de ces 20 dernières années. Quelque 25.000 personnes ont défilé dans les rues de la capitale, samedi matin, assurent les syndicats. La police avance les chiffres plus modestes de 12.000 à 14.000 manifestant·es.

 

Quoi qu’il en soit, le soir même, Luc Frieden tente de faire profil bas dans son intervention non programmée dans les studios de RTL. Sans convaincre les syndicats. « C’était décevant », évacue, deux jours plus tard, Patrick Dury, le président du LCGB. « Le message n’est peut-être pas tout à fait passé », suggère la présidente de l’OGBL, Nora Back, présageant d’autres actions à venir si les syndicats ne sont pas entendus. « Jusqu’à la grève générale, s’il le faut », avait menacé Patrick Dury, à l’issue de la manifestation du samedi. À leurs yeux, Luc Frieden n’a pas amorcé le début d’un mea-culpa pour son attitude à leur égard. Back et Dury lui reprochent toujours de congédier la voix des salarié·es pour avancer dans le seul intérêt patronal. Il n’a rien concédé sur le fond des dossiers et poursuit son jeu de dupes, jugent les deux responsables de syndicat.

Manif OGBL syndicats

La présidente de l’OGBL, Nora Back, délivre son discours sur la place Guillaume II. (Photo : Giulia Thinnes)

Depuis la scène installée sur le Knuedler, le 28 juin, Nora Back et Patrick Dury enchaînent les diatribes contre le gouvernement face à une foule survoltée. Si la question des pensions domine les pancartes des manifestant·es, les syndicalistes fustigent une nouvelle fois la volonté du gouvernement et du patronat de reléguer les organisations de salarié·es au second plan, en modifiant la loi sur la négociation des conventions collectives. Une tentative d’abattre le modèle social luxembourgeois, affirment de concert l’OGBL et le LCGB.

« Un gouvernement qui ne défend plus les intérêts de son pays et de ses citoyens doit démissionner », s’enhardit Nora Back, portée par le succès de la manif. Patrick Dury, de son côté, compare Luc Frieden à ses prédécesseurs : « Notre pays a eu beaucoup de chance d’être dirigé, notamment dans les moments difficiles, par de véritables hommes d’État tels que Thorn, Santer, Juncker et Bettel. » Cruel !

Le patronat en mode offensif

Récitant comme une litanie son attachement au dialogue social, le premier ministre chrétien-social espère retrouver les syndicats ce mercredi 9 juillet pour entamer les discussions sur les pensions, en compagnie du patronat, au sein d’une réunion en format tripartite, même s’il récuse ce terme. Les deux syndicats ont répondu favorablement à Luc Frieden dans un courrier envoyé dès lundi 30 juin, à l’en-tête de l’Union des syndicats OGBL et LCGB, l’asbl commune qu’ils viennent de fonder. Convaincus d’avoir établi un rapport de force qui leur est désormais favorable, ils posent néanmoins comme condition à leur présence un ordre du jour amendé, incluant les questions des conventions collectives, du travail dominical et des heures d’ouverture dans le commerce, ainsi que le niveau du salaire minimum et, bien sûr, les pensions.

Pour la majorité CSV-DP, la mobilisation populaire de samedi est un coup de semonce. La présidente du parti libéral, Carole Hartmann, et le député-maire chrétien-social de Bettembourg, Laurent Zeimet, interviennent chacun de leur côté sur les ondes pour demander au gouvernement d’ouvrir le dialogue, « de verser de l’eau dans son vin », selon les propos déjà tenus par Xavier Bettel en amont du 28 juin.

Ce souci d’apaisement n’est pas partagé par le patronat. Le lundi suivant la manif, le directeur de l’UEL, Marc Wagener, se pointe à son tour sur le plateau de RTL et attaque bille en tête les syndicats, jugeant inacceptables les conditions et les lignes rouges qu’ils posent pour leur participation à la réunion du 9 juillet. Un chouïa mauvais perdant, il reprend l’estimation policière pour dire que « 12.000 manifestants ne représentent que 3 % des actifs du pays et seulement 10 % des membres » revendiqués par les deux syndicats.

Patrick Dury LCGB Manif syndicats

Patrick Dury, le président du LCGB, fustige le gouvernement pendant son discours. (Photo : Giulia Thinnes)

Ce chiffre reste toutefois supérieur à celui des 9.000 personnes qui ont volontairement participé à la consultation en ligne « Schwätz Mat ! », menée sur la réforme des pensions, entre octobre et avril derniers. Le rapport avec la manif ? La ministre de la Sécurité sociale, Martine Deprez, vient d’en présenter les résultats. Basée sur les avis d’internautes et d’un panel « d’experts » réunis ces derniers mois à Bourglinster, l’étude montre une nette préférence des salarié·es pour la liberté individuelle de choisir son âge de départ à la retraite, une fois atteints 40 ans de cotisations. Seul le patronat est en faveur d’un allongement de la durée de cotisation à 43 ans, comme le préconise Luc Frieden.

Cette dernière proposition sera sur la table des négociations, confirme Martine Deprez au cours d’une conférence de presse, ce 3 juillet. Cela pérenniserait le financement du régime pour les trois à quatre ans à venir, ajoute la ministre, estimant qu’il faudra trouver d’autres pistes pour équilibrer le système à plus long terme. Rien n’est exclu, jure-t-elle. Par exemple une hausse minime des cotisations d’un demi-point, comme le préconisent les syndicats ? Soit un effort partagé entre l’État, les salarié·es et le patronat. La piste avait déjà été évoquée deux jours avant la manif par Xavier Bettel, en forme d’ouverture vers les organisations syndicales. Le deal pour ces dernières serait alors d’accepter un allongement de la durée des cotisations en contrepartie de la hausse de celles-ci. De l’argent contre du temps de travail supplémentaire, en somme. Le chemin est périlleux, la réduction du temps de travail demeurant une aspiration majeure des salarié·es. Car le temps, ce n’est pas que de l’argent.

Les pirates oubliés, Nicolas Schmit exulte

Lorsqu’elle prend la parole, ce 28 juin, la présidente de l’OGBL ne manque pas de remercier les organisations de la société civile et les partis d’opposition qui ont répondu à l’appel des syndicats. Nora Back cite Déi Lénk, Déi Gréng, le KPL, le LSAP, mais pas les pirates, dont les drapeaux flottent pourtant à quelques mètres d’elle, au milieu de tant d’autres. Interrogé sur cet oubli, l’OGBL affirme que, dans l’évidente excitation du moment, Nora Back ne les a pas vu·es. Le syndicat avance néanmoins une autre explication : elle n’a remercié que les partis politiques qui avaient officiellement appelé à participer à la manifestation, ce qui n’a pas été le cas des pirates. L’oubli serait donc plutôt à chercher du côté du parti, qui n’avait pas sonné le branle-bas de combat, alors qu’il est bien présent dans le cortège de samedi. Le député Sven Clement avance au milieu d’autres élu·es, relativement en tête du cortège. Il s’était déjà rendu au congrès de l’OGBL, fin mars. Dans la manifestation, le KPL et Déi Lénk forment chacun des groupes compacts, bien visibles. Pour leur part, les responsables socialistes défilent plutôt en ordre dispersé. Lorsque nous le croisons boulevard Roosevelt, Nicolas Schmit exulte en désignant le pont Adolphe, encore envahi de manifestant·es sur toute sa longueur, tandis que la tête du défilé arrive déjà à proximité du Knuedler : « Regardez ça ! Peu importe le nombre exact de manifestants, c’est déjà une victoire », jubile-t-il. L’ancien commissaire européen socialiste est à l’origine de la directive salaire minimum adéquat, dont la lecture très particulière qu’en fait le gouvernement hérisse les syndicats. C’est donc aussi un peu son propre texte que vient défendre Nicolas Schmit ce samedi.


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