Médias : Le loup est dans la tanière

La reprise de Saint-Paul Luxembourg par Mediahuis n’augurait rien de bon, et certaines voix critiques l’avaient d’ailleurs déjà fait entendre. Car faire du journalisme un business profitable est la pire des choses qui puisse arriver au métier.

© wikimedia_bdx

Attendre chaque jour le passage de la poste. Se sentir coupable et soulagé quand la sonnette ne se déclenche pas, qu’il n’y a pas de courrier recommandé pour vous qui met fin à votre carrière, en pleine crise économique et en pleine crise des médias. Et puis retour à la case zéro : si la lettre fatidique n’arrive pas aujourd’hui, elle pourrait bien se frayer un chemin demain ou le jour d’après. Tel est le lot quotidien de nos collègues de la rédaction du Wort. Si certains le prennent avec un rire jaune – en mentionnant sur les réseaux sociaux que leur dernier article parlait justement d’une station d’épuration –, d’autres confient leurs pensées à leurs blogs. Et même pour celles et ceux qui restent, l’avenir n’est pas rose. Des équipes tronquées qui devront livrer la même quantité de contenus, cela n’ira jamais sans une perte de qualité. D’autant plus que toute la correction a été mise à la porte aussi.

Same procedure in Ireland

Que le groupe média historique puisse se retrouver un jour dans le collimateur d’une multinationale était impensable il y a encore quelques années. Et pourtant, l’archevêché a vendu ses parts à Mediahuis, géant belge né en 2013 de la fusion entre les groupes Concentra et Corelio. Depuis, Mediahuis collectionne les titres de presse comme des timbres. Son tableau de chasse comprend surtout des journaux de grande envergure, de préférence conservateurs, comme « De Telegraaf » aux Pays-Bas ou encore l’« Irish Independent » en Irlande. Pas étonnant que le Wort soit entré dans la ligne de mire de Mediahuis, qui chapeaute d’ailleurs aussi la première chaîne de télévision flamande, des sites internet, des radios et des gratuits.

Si le nouveau management a joué l’apaisement au début, les anciens propriétaires auraient pourtant dû se méfier, car l’arrivée de Mediahuis, pandémie ou non, a souvent été synonyme de licenciements. Un coup d’œil en Irlande aurait suffi : quelques mois après la reprise d’Independent News & Media (INM – groupe dont l’« Irish Independent » est le plus gros titre) suivait la fermeture d’une imprimerie avec 80 postes perdus. Les rédactions du groupe ont aussi perdu une partie de leur personnel. La raison avancée par Mediahuis sonne étrangement connue : « rendre plus efficace l’imprimé pour faire de la place à l’accélération digitale nécessaire ». Certes, le retard d’INM sur l’ère digitale était notoire, selon plusieurs articles du journal concurrent, l’« Irish Times ». Pourtant, le procédé reste le même : entrer dans le capital, changer le conseil d’administration, dégrader la direction locale et régner d’une main de fer sur le personnel.

La vague de licenciements au Luxembourg en a déclenché une autre, celle de l’indignation. Des emplois qui, au bon vieux temps, semblaient encore solides sont devenus précaires – les journalistes restant-e-s sont donc aussi prié-e-s de ne pas trop se solidariser avec leurs ex-collègues, s’ils et elles ne veulent pas être les prochain-e-s sur la liste. Bref, c’est la logique néolibérale pure et dure qui règne à Gasperich de nos jours.

Le pire est que cette logique est soutenue par la réforme de l’aide à la presse du gouvernement. Dans la logique libérale, il semble tout à fait impensable que des médias ne puissent pas être faits pour amasser un maximum de fric. Alors que des contre-exemples existent, même à grande échelle. Début septembre, le quotidien français « Libération », qui a connu des années houleuses sous différents propriétaires comme Édouard de Rothschild ou Patrick Drahi, vient de passer sous la houlette d’une fondation… sans but lucratif.


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