Monarchie : Enfin responsables ?

L’actualité luxembourgeoise de ces derniers jours se lit comme un conte de fées – la pauvre grande-duchesse aux prises avec un rapporteur sans pitié, pourchassée par des journaleux galeux, avec seulement son vaillant mari et son fou du roi pour la défendre. Blague à part : la crise actuelle a ouvert des brèches impensables il y a quelques décennies.

La charité de Maria Teresa dépend de ses valeurs chrétiennes : tendre envers des adolescentes qui tombent enceintes et n’avortent pas – ignorant celles qui font le choix inverse. (© Cour grand-ducale/Marion Dessard)

Chère lectrice, cher lecteur du woxx : si vous nous suivez depuis un certain temps, vous savez sûrement que les choses qui se passent à la Cour grand-ducale ne passionnent pas des masses notre petite rédaction. Nous préférons de loin ignorer mariages, divorces, enfants cachés ou non et autres faits princiers, et nous laissons volontairement nos collègues de la presse quotidienne ou people en faire leurs choux gras. En tant qu’hebdomadaire plutôt ouvert à l’idée républicaine, nous ne nous occupons pas des affaires des altesses royales, sauf quand c’est incontournable.

Et avec le rapport Waringo et le brouhaha autour, force est de constater que même le woxx n’y échappera pas cette fois-ci. Nous avons donc enfilé notre plus beau costume d’arlequin et nous sommes glissés aussi discrètement que possible dans les coulisses de ce drame grand-ducal.

Un drame qui n’a pas commencé cette année, mais déjà l’été dernier. Des rumeurs parcourent les couloirs de la Chambre des député-e-s quelques semaines déjà avant que le magazine en ligne Reporter révèle que le premier ministre, excédé des frasques de la cour et des démissions et licenciements successifs qu’il apprend dans les médias – alors qu’en fait, les ressources humaines à Colmar-Berg doivent se gérer d’un commun accord, et que le premier ministre et ministre d’État doit au moins être informé –, envoie à la cour l’ancien directeur de l’Inspection générale des finances pour voir ce qui s’y trame. Et ces rumeurs sont si persistantes que même le woxx, qui d’habitude y prête une sourde oreille républicaine, les entend.

L’histoire – qui nous a été relatée et confirmée par plusieurs témoins – est la suivante. Suite au décès du grand-duc Jean, le 23 avril 2019, son héritier le grand-duc Henri envisageait sérieusement d’abdiquer. Une décision qu’il n’aurait pas voulu prendre du vivant de son père. Après le décès de ce dernier, il ne voyait plus de raison de poursuivre sa mission de chef de l’État. Ce qui, selon les mêmes témoins, avait provoqué une crise de moyenne ampleur, le successeur désigné, le grand-duc héritier Guillaume, ne se sentant pas encore prêt à entamer son règne.

Un grand-duc en burn-out

Bref, notre grand-duc, qui est après tout un être humain, était en situation de burn-out. Ce qui est somme toute compréhensible : monarque d’opérette sous tutelle gouvernementale, dont la principale fonction est d’ouvrir des portes à des délégations de business qui visitent des régimes parfois très peu appétissants, cela en déprimerait plus d’un-e. Et puis, il y a un autre facteur qui pèse sans doute dans le quotidien de notre monarchie : la grande-duchesse Maria Teresa.

Les ragots sur son caractère prétendument irascible mis à part, le fait que l’épouse du grand-duc apparaisse tellement souvent dans les lignes du rapport Waringo confirme ce que la presse faisait mijoter les semaines précédentes, à savoir la position prépondérante de la grande-duchesse dans les affaires de la cour. Même sans statut autre que représentatif, elle s’est arrogé les pouvoirs au palais de Colmar-Berg et y fait la pluie et parfois le beau temps de ses employé-e-s. Sa « présence » a même été rapportée par Jeannot Waringo dans son document, bien que, selon nos informations, il n’ait jamais rencontré son altesse. Nous ne savons pas si le coup de la lettre du cabinet d’avocats censée stopper l’ardeur du rapporteur – et qui lui a donné l’impression d’être un « élément perturbateur et non pas une aide en vue d’une réforme de notre [m]onarchie » – avait été demandée par la grande-duchesse ou non. Mais tout porte à le croire. En toute logique, car si le grand-duc, comme le premier ministre Xavier Bettel l’a déclaré à sa conférence de presse mercredi, est d’accord avec les conclusions du rapport et qu’il a aussi accueilli l’été dernier le rapporteur à bras ouverts, ce ne peut pas être lui.

Le caricaturiste d’Editpress avait donc vu juste, lorsqu’il a dessiné la grande-duchesse en fureur alors que le grand-duc ouvrait la porte à Jeannot Waringo vêtu d’une robe de chambre. Nous avons appris de source crédible que quand Xavier Bettel a imposé la présence de son rapporteur au palais, après des tentatives de s’opposer à la mission de Waringo, Maria Teresa a fait dire des prières spéciales pour jeter un mauvais sort et protéger la famille contre l’immixtion du gouvernement dans les affaires de la Maison grand-ducale et les intentions de réforme.

© Cour grand-ducale/Marion Dessard

Et une grande-duchesse très charismatique

Peine perdue, mais cette anecdote révèle une autre facette de la femme du grand-duc qui n’est pas souvent évoquée en public : sa religiosité et son attrait pour le courant charismatique de l’Église catholique. Ainsi, la grande-duchesse, lors de ses séjours prolongés dans son appartement parisien, fréquente une paroisse, la chapelle Notre-Dame-de-la-Médaille-miraculeuse, sise rue du Bac, dans le très chic 7e arrondissement. Dans ce lieu de culte, on célèbre entre autres Catherine Labouré, une pieuse femme qui a vu la Vierge Marie à au moins trois reprises, en sus du cœur de saint Vincent de Paul. On est très éloigné des pratiques du catholicisme classique et somme toute rationnel vécu par Jean et Joséphine-Charlotte, lorsque l’Église était raison d’État.

Mais les soupçons d’inspiration religieuse, qu’elle souhaite souvent transformer en politique, vont plus loin. Ainsi, des sources spéculent sur le fait que sans l’influence religieuse de Maria Teresa, la crise constitutionnelle de 2008 aurait pu être évitée et que son mari aurait aussi contresigné la loi sur l’euthanasie. Les mêmes sources évoquent sa proximité avec l’Opus Dei et la famille royale belge, avec laquelle elle organiserait des retraites spirituelles au château de Colmar-Berg, où les servant-e-s seraient trié-e-s sur le volet dans un souci de discrétion. Bref, les Nassau auront mis six générations pour évoluer de protestants à charismatiques.

L’appartenance à des milieux qui ne se sentent pas liés aux lois terrestres mais à leur mission spirituelle aurait-elle motivé la grande-duchesse à dépasser les bornes ? La religion est certes une chose privée, mais cesse de l’être quand elle est employée de façon politique dans un rapport de forces. Et le fait que Maria Teresa fait aussi le tri de ses engagements selon des critères proches des valeurs catholiques en est un autre indice. Ainsi, dans une opération de communication post-rapport Waringo, elle s’est rendue au chevet de jeunes filles mineures qui venaient d’accoucher au centre Norbert Ensch. Pourtant, pour celles qui avortent, l’altesse royale a moins de compassion : ainsi, pour le cinquantenaire du Planning familial, aucune lettre n’a été envoyée, aucune visite officielle n’a été effectuée par la famille grand-ducale. Un signe que l’initiative n’est pas du goût de leurs altesses royales – alors qu’elles sont censées représenter la population de tout leur pays.

Une telle sélectivité ne sera pas palliée, même si les conclusions du rapport Waringo étaient « mises en musique » (pour citer le premier ministre) à cent pour cent. Mais le fait que la famille grand-ducale ne pourra plus faire comme il lui plaît à l’avenir ouvre les portes à plus de transparence et moins de possibilités d’autocratie, même derrière les battants des portes du palais. Et puis, plus de transparence amènera aussi plus de questionnements sur la raison d’être de la monarchie.

L’avènement d’une république ne se fera pas avec la génération de politicien-ne-s au pouvoir actuellement. Comme le ministre d’État l’a fait savoir lors de sa conférence de presse : « Je soutiens la monarchie. Et je soutiens cette monarchie. » Mais en ouvrant la brèche, peut-être a-t-il enclenché la fin de cet anachronisme antidémocratique. Et libéré les futur-e-s grands-ducs et grandes-duchesses du fardeau de servir de faire-valoir à la Fedil et à la Chambre de commerce.


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