Musique contemporaine : Dickinson, Keats, Lorca… et la lumière

Le 11 février, au Trifolion, l’ensemble Kammerata Luxembourg présentera son nouveau CD, « Echoes of Autumn and Light ». Des compositions contemporaines reliées par leur inspiration venue de la lumière et de la poésie.

L’ensemble Kammerata Luxembourg lors de l’enregistrement de son nouveau CD. (Photos : Kammerata Luxembourg)

Dans son introduction, Markus Brönniman, compositeur et flûtiste de l’Orchestre philharmonique du Luxembourg, s’interroge : « À l’écoute de ces œuvres, la question de l’existence d’une identité luxembourgeoise se pose inéluctablement. » Si la réalité d’un style musical du cru paraît difficile à appréhender, mondialisation du classique contemporain et taille du pays obligent, le domaine bénéficie d’une belle vitalité locale et d’une certaine visibilité à l’international. Et à défaut d’une patte grand-ducale reconnaissable, deux thèmes irriguent les cinq œuvres proposées dans cette nouvelle production : la lumière et la poésie.

C’est en effet sur la base du poème « Dying », d’Emily Dickinson, que Marcel Reuter a composé la première pièce du programme. Pour son titre, il choisit le deuxième vers, « No Hue of Afternoon » : ce sont les teintes fluctuantes d’un coucher de soleil que le petit ensemble s’attache à rendre, après l’éclat de lumière initial. Quant à la voix, elle use de techniques diverses qui figurent les changements d’émotions, se fondant parfois avec la ligne mélodique instrumentale, chuchotant ou martelant, sans inflexions excessives. Une belle entrée en matière, avec la soprano Mariette Lentz parfaitement dans l’esprit du style à la fois mystérieux et gorgé de sentiments de la poétesse américaine.

Markus Brönnimann ne revendique pas une stricte mise en musique, mais tire aussi sa matière et son titre d’un poème : « El canto quiere ser luz », de Federico García Lorca. Sa pièce explore peu à peu les notes à partir d’une seule, dans un jeu où chaque instrument semble chercher la lumière. Car « La luz no sabe qué quiere », selon le poète, et puisque la lumière ne sait pas ce qu’elle veut, la musique tâtonne au début. La danse est d’abord timide, puis rythmée ; des solos appuyés en émergent, et le violoncelle clôt cette illumination dans l’aigu. La proposition est intelligente et joliment réalisée.

« Mezza voce », deuxième composition de Marcel Reuter sur le CD, est une suite de mouvements où les contrastes sont liés à des différences d’instrumentation, de tempo ou d’atmosphère. Sa construction, beaucoup plus cérébrale, la rend plus exigeante à l’écoute. Elle réserve cependant de beaux moments lyriques et apaisés, notamment dans son « cantabile ».

C’est avec Georges Lentz, compositeur luxembourgeois résidant désormais à Sydney, que poésie et lumière reviennent. Si le point de départ avoué est la peinture aborigène, la spiritualité des premiers peuples d’Australie, faite d’histoires ancestrales transmises oralement, baigne évidemment dans une mer de poèmes. « Nguurraa from ‘Mysterium’ (‘Caeli enarrant…’ VII) » tire son premier mot du terme réservé à la lumière dans une langue locale. Un long solo de clarinette ouvre cette œuvre qui vise à rendre le sentiment de petitesse face à l’univers ressenti dans le désert australien. Lentz n’hésite pas à utiliser le silence et superpose des lignes mélodiques de façon subtile, avant de monter en puissance pour le saisissement devant la grandeur qui nous entoure. De quoi donner une sérieuse envie de désert.

Pour terminer, Camille Kerger propose « Lieder des Herbstes », une suite mélangeant des poèmes japonais écrits du 7e au 16e siècle avec « To Autumn » de John Keats. Le compositeur a réarrangé les strophes du poète britannique pour les fondre dans la poésie japonaise (en version allemande), elle aussi consacrée à l’automne. Le petit ensemble et la soprano en donnent une interprétation musicalement bien en place. Cependant, la mixture sino-germano-britannique et le bouleversement du poème de Keats génèrent une impression plus diffuse, moins concentrée en sentiments, malgré de belles illustrations sonores. Il n’en reste pas moins que la représentation en direct le 11 février devrait donner à cette pièce comme aux autres tout l’éclat qu’elles méritent.

« Echoes of Autumn and Light », CD paru chez Toccata Next (Londres) : informations et commande sur kammerata.lu
Concert de présentation le 11 février à 20h au Trifolion (complet !).


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