On n’écrira jamais assez combien le Centre national de littérature se démène pour promouvoir les autrices et auteurs du cru, avec un réel souci d’exhaustivité. Parmi tous les projets d’expositions, de lectures ou de livres, le dernier en date, particulièrement soigné, associe avec bonheur photographie et écriture diariste.
Comment rendre compte de « 19 10 PM » ? Mentionner que ce beau-livre − du genre de ceux qu’on laisse sur la table du salon pour en picorer au jour le jour quelques pages méticuleusement choisies − réunit les talents d’un photographe (Philippe Matsas) et de 32 autrices et auteurs du champ littéraire luxembourgeois (voir liste complète en fin d’article) serait le service minimum. Mais bien entendu, l’objet imprimé va bien plus loin. S’y font écho les lignes de journaux du mois d’octobre 2019 et les photographies de leurs lieux d’écriture. Délicate alchimie qui, selon la personnalité de qui écrit, fait résonner d’adjectifs ou de verbes les couleurs des clichés. Mais, prennent soin de mentionner Ludivine Jehin et Claude D. Conter, qui ont édité l’ensemble, « pas de mystère à percer ; il y a croisement d’éléments dans le domaine du sensible ».
Le domaine du sensible, oui. Matsas n’a rien mis en scène, en tout cas pas de son initiative, écrit-il. Certains auteurs, quelques autrices auraient choisi l’image à donner d’eux, d’elles ? Mais c’est de bonne guerre, puisque c’est leur chez-soi qui se révèle ici, après tout. Pudeur ou volubilité, les journaux vont du plus concis − Ulrike Bail, par exemple, très factuelle − au plus extensif − Jeff Schinker, qui cite Éric Chevillard, explique quelle série il regarde ou quelle musique il écoute, en plus de ses activités littéraires. Et puis il y a Anise Koltz : rien d’écrit, ou si peu. « Mon silence change − une étoile veille ». C’est tout. Est-ce un poème, un début de poème, l’a-t-elle écrit pendant ce mois d’octobre 2019 ou est-ce une citation ? On n’ira pas chercher dans son œuvre si l’on peut y trouver ces mots, pour que le mystère reste entier. Mais non, on l’a vu : il n’y a pas de mystère à percer, nous ont rappelé Jehin et Conter. Nous sommes dans le domaine du sensible. Et peut-être ces pages consacrées à la grande poétesse luxembourgeoise en sont-elles la plus pure illustration.
Les portraits des autrices et auteurs sont rapprochés, les lieux d’écriture sont pris dans leur ensemble. La maîtrise du sujet du photographe est manifeste. Et si on ne pourra ici citer les 32 contributions en leur attribuant leurs mérites respectifs, excepté les exemples ci-dessus, c’est aussi qu’on souhaite à celles et ceux que ce livre intrigue de les découvrir. Dans les langues nationales et en anglais, en couleur et en noir et blanc, verbes secs ou adjectifs ronflants, c’est un pan important de la littérature luxembourgeoise actuelle qui s’y trouve cristallisé dans un objet à la réalisation impeccable. Avec beaucoup de sensibilité, c’est confirmé ; et qui provoque beaucoup d’émotions.