De la poésie érotique au Luxembourg ? C’est ce que propose ce recueil de Marie-Pierre Antoine, paru dans la collection Graphiti des éditions Phi. Le woxx, tout émoustillé, l’a lu.

Couverture et photo : éditions Phi
Sans rien connaître du contenu du recueil, on pourrait croire, à lire le titre « Coquilles de noisettes », que l’on s’apprête à parcourir un livre bucolique… voire d’écopoésie, pourquoi pas ? D’autant que les premiers vers, dans le poème « La parole différente », semblent partir sur un thème qui n’a rien à voir : « Parler sans parler / Juste te regarder. // Parler trois langues / Pour un même mot. » Métaphore du plurilinguisme grand-ducal ? Heureusement que non. Ici, en fait, la langue bien charnue servira surtout à titiller, à lécher, à faire vibrer. « Les poèmes / De mon enfance, / Appris par cœur / pour une note » deviennent vite « Les poèmes / De jeunesse, / Du premier baiser, / Du premier émoi », et Marie-Pierre Antoine se lance à corps perdu dans une exploration du désir : « Le désir / Me porte, / Me plie, / Me tord, / Ai-je tort ? » L’objectif de ce titre un rien trompeur est sans nul doute atteint.
On comprend alors dans ce contexte les multiples sens que peut revêtir le substantif « noisettes ». La sensualité que décrit la poétesse se situe souvent dans un registre qui exploite le vocabulaire de la nature ou de la nourriture – sucrée, de préférence –, voire de la musique (« Un triangle / Qui se laisse / Pénétrer », dans le poème « Le violon »). Au menu donc, des allusions à peine voilées (« C’est toi le missionnaire, / qui m’évangélise »), des métaphores sexuelles et un grand élan de bonne humeur qui célèbre l’acte d’amour sous toutes ses formes. Car si parfois l’accumulation de figures de style pour évoquer les préliminaires ou le coït peut devenir un peu répétitive ou revêtir des allures de déjà-vu (pas facile de se frotter à un thème aussi ancien que la littérature elle-même), il convient de reconnaître à la poétesse une écriture qui permet de ressentir le sourire coquin qu’elle a sûrement arboré pendant la rédaction de l’ouvrage. Il faut dire que c’est sa première publication poétique en recueil, mais qu’elle écrit depuis très longtemps. Et que les mots, ça la connaît : responsable de la bibliothèque de l’Université du Luxembourg, elle les côtoie tant professionnellement qu’en tant qu’autrice.
Difficile érotisme
Pas étonnant donc que, dans le poème « Un mot », elle s’autorise à nous offrir en toute concision l’adverbe qui préside au fond à tout le livre « Un seul mot / Pour se donner, / Partager / Des moments // […] Profiter, / Savourer, / Jouir, / Et recommencer / Encore / Encore / Encore ! » En redemander, n’est-ce pas là le secret de l’amour… et de la poésie ? Mais point trop n’en faut, cependant. Consciente que l’accumulation d’allusions desservirait la lecture à la longue, Marie-Pierre Antoine glisse aussi quelques poèmes plus crus : « Mets ton sexe / Comme ceci, oui juste comme cela. / Reprends ton souffle », ou « Que ton sexe enfin / N’oublie pas le chemin / Du voyage envoûtant / Que nous nommerons plaisir ». L’équilibre entre poétique et prosaïque, quoique fragile, est ainsi préservé.
C’est dans les poèmes moins longs, plus allusifs et plus gourmands dans le sens littéral (voir les exemples en encadré) que la poétesse se révèle le plus convaincante. La concision des sentiments lui va bien, car elle permet de donner aux lectrices et lecteurs l’espace nécessaire à l’imagination tout en orientant les images avec subtilité. Difficile exercice que celui de la poésie érotique ! En amour, on frôle souvent le cliché, qu’il s’agit de contourner habilement ou de franchement exploiter : ici, la sincérité de l’écriture est touchante ; elle accordera à la plupart de goûter les fleurs suaves de ces vers lestes.
Ode aux corps qui s’approchent d’abord, s’effleurent ensuite, puis s’enlacent, se mêlent, ces « Coquilles de noisettes » sont une sorte d’ovni dans la production littéraire francophone luxembourgeoise. Elles pourront diviser, mais elles ont une solide raison d’être. La poésie n’est pas faite pour une élite qui en détiendrait les clés artistiques et en distribuerait les prix ; dans le prolongement des strophes adolescentes, les strophes d’amour adultes se teintent d’une expérience qu’il fait bon rappeler, qu’on peut consigner aussi dans des livres. Et en lisant ceux-ci, on découvre « Une vue imprenable / Sur des vallées d’énigmes, / Sur des pics enneigés, / Sur le paradis. / Pour ceux qui y croient. » C’est la poétesse qui nous le dit.
Marie-Pierre Antoine, « Coquilles de noisettes », éditions Phi, 104 p.
La framboise
Le plaisir
Par les framboises :Deux petites framboises
Attendries
Et mûres,
Nectar rosé
Pour le bal
De la fantaisie
Et des orgasmes
Volubiles.Deux petites framboises
Taquines
Fondantes
Dans ta bouche
Croquante.Deux croquettes
Pour l’apéro
De nos photos
Cher Éros !***
L’amaretto
Des petites cuillères
Qui glissent
En voluptés serrées
Dans la mousse nacrée.Tourbillon de saveurs
Chocolat-lait chaud.Lamaretti
Lamarettu
L’amour est tout
L’AmarettoMa première gorgée :
Une promesse
Tout à coup.Une promesse gourmande
De lèvres satisfaites
Et de bouche comblée.Lamaretti
Lamarettu
L’amour est tout…
L’Amaretto !

