Que reste-t-il de nos amours ? (et 10/10) : « Une main lave l’autre, les deux lavent le visage »

Né au Kosovo en 1977 et arrivé au Luxembourg en 1998, Fatos Krasniqi est, depuis 2012, avec son frère Zeqir, le patron de l’hôtel Zurich et de la brasserie Barbarella.

Photo : Paulo Lobo

Je suis venu pour demander la protection internationale. Au Luxembourg, j’ai ressenti pour la première fois ce qu’était la liberté. Au début, je pensais que je rentrerais, mais je suis resté. Je me suis bien intégré et ai fondé une famille. Mes frères sont aussi restés. L’un d’eux, Dervish, est même devenu fonctionnaire au ministère de l’Éducation nationale ! Ma sœur est en Allemagne. J’ai rencontré de bonnes personnes qui m’ont donné du travail. J’ai toujours travaillé dans le domaine de la restauration. Je dis à mes enfants que nous devons beaucoup au Luxembourg et qu’ils doivent travailler pour lui. J’ai appris ce proverbe de mon oncle maternel : « Une main lave l’autre, les deux lavent le visage. » Ici, on m’a donné les deux mains et je dois agir du mieux que je peux pour rendre ce que j’ai reçu.

La clientèle du Barbarella ?


Elle est très variée, adorable et correcte. J’ai déjà refusé de servir des personnes qui avaient dépassé les limites. Nous vendons de l’alcool, bien sûr, mais notre but n’est pas de pousser les gens à boire pour gagner beaucoup d’argent.

La clientèle de l’hôtel Zurich ?


La grande majorité est composée de personnes qui travaillent au Luxembourg pendant la semaine et partent le week-end. Après la covid, les touristes reviennent et la proximité de la gare est toujours avantageuse.

L’hôtellerie au temps de la covid ?


Pendant la crise sanitaire, le café était fermé et l’hôtel ouvert. Mon frère et moi avons dû bien nous organiser : nous devions payer le loyer et le personnel. Nous avons reçu des aides de l’État, mais les patrons ne sont jamais contents ! Il faudra du temps pour s’en remettre complètement.

« Où que tu ailles, il faut construire une maison »

Le comportement des gens a changé ?


Les gens et la vie ne sont plus comme avant. Ce que nous avons vécu n’était facile pour personne : l’un de mes frères a télétravaillé, mes enfants faisaient l’école à la maison… Je leur racontais que, au Kosovo, j’ai dû aller à l’école dans des maisons privées, car il fallait se cacher de la police, et que 24 ans après on était à nouveau enfermés, mais sans savoir de qui on devait se cacher.

Mon oncle me disait aussi ceci, pour m’expliquer qu’il faut laisser au moins un ami dans chaque endroit où nous allons. J’ai beaucoup d’amis de partout. J’ai toujours écouté les personnes plus âgées et ai appris que nous sommes tous pareils, d’où que nous soyons originaires et quelle que soit notre position sociale.

Un message pour les nouvelles générations ?


À notre arrivée, aucun membre de ma famille ne parlait un mot des langues d’ici, mais on s’en est bien sortis. Au Luxembourg, si l’on a envie de travailler, on parvient à réaliser tous ses rêves. J’essaie d’apprendre à mes enfants qu’il ne faut jamais oublier ses origines, qu’il faut respecter les autres et qu’il faut travailler pour avancer dans la vie. Voici mon message pour les nouvelles générations : travaillez, tant que vous le pouvez ! J’espère que mes enfants, que tous les enfants du monde avanceront dans leur vie et ne se fermeront pas les portes.

Que faudrait-il faire pour améliorer la vie du quartier ?


Franchement, je n’ai jamais pensé que l’on puisse changer le quartier de la gare, ni ici ni nulle part ailleurs. Je ne juge pas les personnes qui y traînent et qui viennent demander quelques pièces pour s’acheter à manger, mais je pense qu’elles n’ont pas eu la force de dépasser des problèmes familiaux ou des crises. Et, vous savez, j’ai vécu la plus terrible des choses, la guerre. Mais j’ai réussi à refaire ma vie.

Nos promenades se terminent sous l’hôtel où l’auteure a dormi et s’est donc réveillée pour la première fois au Luxembourg. Un merci spécial à Paulo Lobo et à Wolfgang Osterheld pour leur talent et leur générosité.

Le quartier de la gare raconté par ses habitant-es
Le tram fonctionne, les travaux et la pandémie sont presque finis. Paca Rimbau Hernández repose la question qu’elle avait déjà posée – en 1999-2000 et en 2019-2020 – à des personnes qui résident ou travaillent dans le quartier de la gare : « Que reste-t-il de nos amours ? » (à retrouver dans les archives du woxx : woxx.eu/nosamours).


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