Rapport de force : « Nous sommes dans une polycrise sociale »

En annonçant sans concertation préalable un recul de l’âge de départ à la retraite, Luc Frieden a envenimé un climat social déjà délétère. Le front syndical uni OGBL-LCGB exige désormais que tous les dossiers soient discutés en tripartite, refusant de participer à toute autre réunion. Le patronat fait mine de ne pas voir où est le problème.

Si d’aventure la ministre de la Sécurité sociale, Martine Deprez, vient au rendez-vous sur les pensions qu’elle a prévu de tenir avec les syndicats le 6 juin, elle fera face à des chaises vides. L’OGBL et le LCGB, réunis au sein du front syndical uni, ont prévenu qu’ils boycotteront désormais toutes les réunions sur les dossiers sociaux avec le gouvernement et le patronat : consultation sur les pensions, table ronde sociale avec Luc Frieden, Comité permanent du travail et de l’emploi, Comité économique et social, etc. Nora Back, pour l’OGBL, et Patrick Dury, pour le LCGB, en ont fait l’annonce au cours d’une conférence de presse, le 23 mai, avant d’en avertir le premier ministre par courrier. « Aucun premier ministre n’avait autant piétiné le dialogue social », a grondé Nora Back. « Il se moque de l’OGBL et du LCGB, sa politique est antisociale et injuste », a renchéri Patrick Dury. Ce n’est pas la fin de toute discussion, mais, pour les deux centrales, le seul cadre adéquat pour négocier est désormais la tripartite, réunissant autour de la table syndicats, patronat et gouvernement. C’est-à-dire le format qui a fait le succès du modèle social et économique du grand-duché ces dernières décennies.

Alors que le dialogue social est mal embouché depuis l’arrivée de la coalition CSV-DP au pouvoir, un point de rupture a été atteint avec l’annonce de Luc Frieden d’un recul de l’âge réel de départ en pension, lors de la tenue de son discours sur l’état de la nation, le 13 mai. Si les salarié·es partent aujourd’hui en moyenne à 60 ans, le premier ministre chrétien-social veut les contraindre à partir à 65 ans, soit l’âge légal. Le processus serait progressif, avec trois mois de travail supplémentaire par an, jusqu’à ce que l’âge de départ réel rencontre l’âge légal. Il n’avait pas précisé les modalités précises de la mise en application de cette mesure, et les explications fournies quelques jours plus tard par sa ministre de la Sécurité sociale n’ont pas permis de sortir du brouillard.

« Il est hors de question que nous entamions des discussions sur cette base, en négociant par exemple le nombre de mois supplémentaires à travailler chaque année : un, deux ou trois », prévient Nora Back, jointe par le woxx. Selon les premières projections effectuées par les syndicats, « un allongement de la durée de travail se traduira automatiquement par des pensions plus élevées, et une telle mesure ne permettra donc pas de pérenniser le financement du système, si ce n’est à court terme », fait valoir la présidente de l’OGBL. La solution préconisée par le premier ministre a aussi été rejetée par une bonne partie des participants au processus de consultation « Schwätz mat ! », lancé par le gouvernement. Elle a néanmoins été fortement promue par la fondation Idea, le think tank de la Chambre de commerce, présidée par Luc Frieden avant son retour en politique.

L’UEL alimente le brasier

D’autres sujets exaspèrent les syndicats, pour lesquels le gouvernement a réduit le dialogue social à un simple exercice de communication. La représentativité des syndicats dans les négociations des conventions collectives, la libéralisation des horaires de travail dans le commerce et désormais le déficit chronique de la caisse de maladie sont autant de points de discorde apparus au fil des mois. Il y a quelques jours, l’UEL a en outre jeté de l’huile sur le brasier en voulant désormais négocier des accords d’entreprise directement avec les salarié·es, au nom d’une supposée « modernisation du droit du travail ». Par la voix de son directeur, Marc Wagener, la principale organisation patronale estime également infondée la demande des syndicats de négocier l’ensemble de ces dossiers sociaux dans le cadre d’une tripartite. Tout comme le gouvernement, il juge que cet instrument ne doit être activé qu’en cas de crise et dénonce un amalgame de sujets qui seraient sans rapport les uns avec les autres.

« Mais il y a une crise du financement des pensions et de la caisse de maladie », rétorque Nora Back, pour qui le malaise est plus large : « Nous sommes dans une polycrise sociale. » La présidente de l’OGBL donne rendez-vous aux salarié·es le 28 juin, pour la manifestation nationale organisée par le front syndical uni contre le démantèlement des acquis sociaux. Elle reconnaît que la suite de l’action syndicale dépendra en grande partie du rapport de force qu’établira l’ampleur de cette mobilisation.


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