Réforme des pensions : Schwätz Mat ! : « Les résultats sont biaisés »

Seules 2.022 personnes ont livré leur avis sur la réforme des pensions dans le cadre de la plateforme « Schwätz Mat ! ». Elles seraient majoritairement en faveur d’une réforme. Le député socialiste Mars Di Bartolomeo affirme cependant que les réponses défavorables aux projets du gouvernement ont été minorées, ce qui biaise les conclusions de la consultation. Il soutient par ailleurs que, en 2024, le fonds de réserve des pensions a augmenté de 3 milliards d’euros, un record.

Mars Di Bartolomeo prête serment devant la Chambre des députés, le 24 octobre 2023, à l’occasion de l’ouverture de la nouvelle législature. (Photo : ChD)

Prendre son mal en patience : promises avant les vacances de Noël, les résultats de la consultation grand public sur le système des pensions du privé ont finalement été dévoilés dans un communiqué peu convaincant, diffusé aux médias tout juste avant le week-end, le vendredi 10 janvier à 17 heures. Selon le ministère de la Sécurité sociale, 2.022 personnes ont posté une contribution sur la plateforme « Schwätz Mat ! », pour donner leur avis sur la « pérennité du système de pensions ». Des contributions plutôt brèves puisque les réponses étaient limitées à 500 signes dans le formulaire prévu à cet effet, soit quatre ou cinq phrases tout au plus. La consultation était ouverte du 4 octobre au 2 décembre.

Sur l’ensemble des répondant·es, 30 % seraient favorables au maintien de l’actuel système, 25 % pour son évolution sur les bases actuelles et 20 % plaideraient pour une réforme structurelle. Bien qu’il manque 25 % de réponses dont on ne connaît pas la teneur, il ressortirait donc que 45 % des contributions penchent pour un changement, contre 30 % seulement pour le statu quo. D’après le gouvernement et le patronat, le financement du régime passerait dans le rouge dès 2027, une affirmation contestée par un large front syndical composé de l’OGBL, du LCGB et de la CGFP.

Parmi les points saillants mis en avant par le ministère de Martine Deprez, on retient que cette « consultation citoyenne » souhaite des pensions d’un minimum de 2.500 euros et d’un maximum de 8.000 euros par mois, des sources de financement alternatives (comme la taxation des patrimoines), un alignement des systèmes de pension du privé et du public ou encore des incitations fiscales et des dispositions plus flexibles pour la souscription d’assurances retraite privées… À un chouïa près, cela ressemble au catalogue des revendications patronales.

« La participation du public démontre à quel point la question de la prévoyance vieillesse est essentielle pour nos citoyennes et citoyens », a déclaré la ministre CSV de la Sécurité sociale, selon le communiqué de son administration. L’affirmation fait tousser les opposant·es à cette réforme, que le CSV et le DP ont inscrite dans leur accord de coalition.

Une participation marginale

Il y a d’abord le nombre de réponses obtenues, c’est-à-dire 2.022. Cela ne représente que 0,42 % des 485.000 salarié·es que compte le Luxembourg, main-d’œuvre frontalière comprise. Ce chiffre tombe même à 0,28 % si l’on y ajoute les résident·es âgé·es de plus de 18 ans dans le pays. « La participation du public », vantée par Martine Deprez, est marginale et, de ce point de vue, l’opération est un fiasco.

Se pose aussi le problème de la représentativité des répondant·es. De qui s’agit-il, quel est leur âge, leur lieu de résidence, leur profession ? Autant de questions habituellement prises en compte par les instituts de sondage pour former des échantillons représentatifs, qui livrent une image plus précise de l’opinion de la société sur un sujet. Une rigueur que ne s’est pas appliquée le ministère.

Dès le lancement du processus, ces faiblesses avaient été soulevées par les syndicats, pour lesquels cet appel à la vox populi est un coup de com, mais aussi une manœuvre pour les contourner dans ce débat. Les organisations syndicales avaient aussi douté de la sincérité des conclusions qui seraient présentées. Pour cette raison, elles avaient demandé à accéder aux réponses, mais Martine Deprez avait prétexté qu’une telle transmission se serait heurtée à la législation sur la protection des données.

La même demande avait été formulée début décembre par Mars Di Bartolomeo au premier ministre, au cours d’une séance à la Chambre. Le député socialiste voulait que l’ensemble des réponses soient transmises aux parlementaires, de façon anonymisée. Luc Frieden avait alors exprimé un « préjugé favorable » et affirmé qu’il appuierait la requête.

Mais l’élu socialiste a, lui aussi, dû prendre son mal en patience. Ne voyant toujours rien arriver le 6 janvier, il a interrogé le chef du gouvernement par le biais d’une question parlementaire. La réponse lui est en quelque sorte parvenue par le ministère de la Sécurité sociale, qui lui a finalement transmis l’ensemble des contributions ce vendredi 10 janvier à 11h. Soit quelques heures avant la diffusion des conclusions à la presse.

Le député socialiste est pour le moins perplexe : « Je constate que des centaines de réponses opposées à une réforme ont été comptées comme une seule réponse, car elles vont toutes dans le même sens », dit l’élu de Dudelange au woxx. « Le ministère justifie cela par le fait que des organisations ou des associations ont pu mobiliser leurs membres afin qu’ils donnent tous une réponse identique, défavorable à une réforme. Mais qui nous dit que cela n’est pas aussi le cas pour ceux qui veulent développer les deuxième et troisième piliers du système, c’est-à-dire les assurances privées ? » Il évoque 700 réponses potentiellement passées à la trappe de cette façon. « Les résultats de la consultation sont biaisés », tranche Mars Di Bartolomeo, pour qui cette étude « n’apporte rien de nouveau ».

Un mystérieux prestataire privé

Le député s’interroge aussi sur le prestataire privé qui a mené la consultation. Celle-ci a été déléguée par le ministère à Snakke & Co, une société s’affirmant spécialisée dans « l’accompagnement au changement, le conseil en management, le marketing stratégique et la stratégie en communication ». En 2023, elle n’employait officiellement qu’une seule personne. Mars Di Bartolomeo veut connaître les raisons pour lesquelles l’administration a choisi ce sous-traitant et quel en a été le coût pour le contribuable.

Membre de la commission de la Santé et de la Sécurité sociale, l’élu de Dudelange rappelle volontiers qu’il est en terrain de connaissance sur ce sujet, qu’il suit de près depuis les années 1970, d’abord comme journaliste, puis comme député et surtout comme ministre de la Sécurité sociale, poste qu’il a occupé de 2004 à 2013. C’est à ce titre qu’il avait mené la dernière réforme des pensions en 2012. Un texte dont les syndicats demandent toujours l’abrogation, car ils estiment que, à terme, il entraînera une baisse des prestations pension pouvant aller jusqu’à 32 %.

Aujourd’hui dans l’opposition, Mars Di Bartolomeo fustige l’attitude du gouvernement Frieden : « Leur stratégie est de dire qu’ils n’ont pas de position arrêtée sur la question, alors que Martine Deprez avait plaidé au début des discussions pour un renforcement des deuxième et troisième piliers. Ils ont ensuite fait marche arrière. » Comme d’autres observateurs, il constate, ces dernières semaines, une hausse du nombre de publicités promouvant les plans de retraite privés dans les médias. « Si le gouvernement ne sait pas ce qu’il veut faire sur les pensions, il n’a qu’à demander aux assurances ce qu’elles pensent qu’il va faire », cingle-t-il dans une formule alambiquée.

S’il y a bien une position que le député socialiste partage avec les syndicats, c’est celle de l’absence d’urgence à réformer le système, en raison des considérables réserves engrangées par le Fonds de compensation, qui réinvestit les excédents de cotisations sur les marchés financiers. Selon lui, lesdites réserves ont augmenté de 3 milliards d’euros en 2024, portant le total à quelque 30 milliards d’euros, soit environ cinq années de paiement de prestations. « C’est un record qui s’explique par la croissance des marchés en 2024 », explique l’élu. Quoi qu’il en soit, Mars Di Bartolomeo se dit convaincu qu’il fera « dire au gouvernement ce qu’il a réellement derrière la tête » sur les pensions. Il n’y a donc plus qu’à prendre son mal en patience avant de voir Luc Frieden sortir du bois.


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