Pour le président de la Confédération générale de la fonction publique (CGFP), il n’y a actuellement aucune justification à toucher aux pensions du secteur privé. Romain Wolff met en garde contre une réforme qui se répercuterait sur le régime de retraite des fonctionnaires. Dans un entretien avec le woxx, le syndicaliste appelle le gouvernement à prendre réellement en compte la position des partenaires sociaux.
Comme ses homologues du LCGB et de l’OGBL, Romain Wolff ne croit pas un mot de ce qu’affirme le gouvernement. Le gouvernement, contrairement à ce qu’il prétend, sait très bien où il va sur le dossier des pensions du secteur privé, affirme le président de la CGFP, syndicat ultramajoritaire dans la fonction publique. En juillet, son organisation cosignait un avis du Comité économique et social (CES) avec les deux grands syndicats du privé pour s’opposer, chiffres à l’appui, à une éventuelle réforme du régime général des pensions, qui aboutirait à une dégradation des prestations. Depuis, la CGFP répète inlassablement sa solidarité avec le LCGB et l’OGBL et déplore la méthode choisie par le gouvernement pour aboutir à une réforme qui, selon lui, aurait des conséquences négatives sur le système de retraite de la fonction publique. S’il constate que le dialogue social a été mis à mal ces derniers mois, Romain Wolff considère néanmoins être dans une relation constructive avec son ministre de tutelle. Alors que les prochaines élections sociales dans la fonction publique se tiendront le 25 mars prochain, il attend désormais du concret : dans les prochaines semaines, son syndicat, fort de quelque 35.000 membres, va entrer en négociation salariale avec le gouvernement.
woxx : Vous avez clairement affirmé ces derniers mois votre opposition à une réforme du régime général des pensions, alors que cela ne toucherait que les salarié·es du privé. En quoi cela concerne-t-il les agent·es public·ques, que vous représentez ?
Romain Wolff : Si l’on regarde la réforme des pensions de la fonction publique introduite en 1999, puis celle du régime général de 2012, on voit qu’à chaque fois certaines dispositions ont été transférées du privé vers notre régime. Les deux systèmes ne sont d’ailleurs pas si différents l’un de l’autre. C’est pour cela qu’on a du mal à croire le chef de file du CSV au parlement (Marc Spautz, ndlr) quand il dit que cette réforme ne concernera que le privé. On ne peut pas dire que la fonction publique soit à l’abri dans les mois et les années à venir.
Début septembre, Michel Reckinger, le président de l’UEL, a d’ailleurs avancé qu’après une réforme du régime général il faudra également discuter des pensions du public.
Oui, il l’a affirmé dans une interview à RTL, mais il a dit beaucoup de choses… Ce qu’on a compris, c’est que l’UEL exige une réforme, même si on ne comprend pas l’intérêt qu’elle y trouve. Ce qu’on voit aussi, c’est que le gouvernement semble plutôt pencher du côté du patronat sur cette question.
Pourquoi estimez-vous qu’il n’y a pas lieu de réformer les pensions aujourd’hui ?
Quand je vois qu’il y a 27 milliards d’euros dans la réserve du Fonds de compensation, je me demande vraiment pourquoi nous devons discuter de cela maintenant, alors qu’il y a d’autres problèmes plus importants à résoudre, particulièrement celui du logement. Mais il est sans doute plus facile de parler des retraites que du logement, où les solutions sont plus difficiles à trouver au niveau politique. Il est inacceptable qu’avant les élections aucun des deux partis de la coalition, CSV et DP, n’ait évoqué ce sujet. Il est vrai que, pour l’instant, le gouvernement ne parle pas de réforme, mais uniquement de discussions sur une éventuelle réforme. Quand nous l’avons rencontrée, la ministre de la Sécurité sociale, Martine Deprez, n’a d’ailleurs rien dit sur ses intentions. Pour notre part, nous avons répété ce que nous avions déjà dit, c’est-à-dire notre opposition résolue à une éventuelle réforme. Ensuite, la CGFP a précisé qu’en matière de pensions de la fonction publique, ce n’est pas Martine Deprez, mais Serge Wilmes, en tant que ministre de tutelle, qui serait son interlocuteur.
Entendre tout le monde, c’est bien, mais plus il y a d’interlocuteurs, plus il y aura d’opinions diverses, et il sera alors très difficile de trouver un consensus. Je suppose que, face à cela, le gouvernement annoncera une décision qu’il connaît déjà.
Si aucun des partis au pouvoir n’a annoncé la couleur avant les élections, le gouvernement se défend en affirmant qu’il n’y a pas eu d’entourloupe, car il se tient strictement à ce qui est écrit dans l’accord de coalition.
C’est facile de dire cela, mais ce n’est pas sérieux vis-à-vis des électeurs.
L’accord de coalition évoque « la possibilité d’une promotion accrue du deuxième et troisième pilier de prévoyance vieillesse », c’est-à-dire les pensions complémentaires privées mises en place par les entreprises et celles payées directement par les salarié·es. Vous en pensez quoi ?
Dans les années 2000, on a passé beaucoup de temps à discuter avec le gouvernement de l’époque sur la mise en place du deuxième pilier pour la fonction publique, mais ça n’avait pas abouti à un résultat concret, car il n’y avait pas de volonté politique pour aller dans ce sens. Quant au troisième pilier, chacun est théoriquement libre de souscrire ou non une assurance complémentaire. Mais dans les faits, on sait très bien qu’il y a des personnes qui en ont les moyens et d’autres qui ne le peuvent pas. C’est possible pour ceux qui ont de bons salaires, mais c’est bien plus difficile pour ceux qui sont au salaire social minimum. Au bout du compte, il faut savoir que les grands gagnants dans tout cela seront ceux qui vendent ces produits, c’est-à-dire les assurances. Pour nous, c’est le premier pilier qui doit rester le plus important (le régime par répartition, ndlr).
Que pensez-vous de la méthode du gouvernement, consistant à ouvrir la discussion sur les pensions le plus largement possible ?
Entendre tout le monde, c’est bien, mais plus il y a d’interlocuteurs, plus il y aura d’opinions diverses, et il sera donc très difficile de trouver un consensus. Je suppose que, face à cela, le gouvernement annoncera une décision qu’il connaît déjà. Car il ne faut pas venir nous dire qu’on lance une telle discussion, avec une telle rapidité, sans savoir ce qu’on envisage de faire. À mon avis, le gouvernement le sait très bien. Nous ne sommes pas naïfs.
Selon la CGFP, ces discussions sont précipitées, alors que le gouvernement dit au contraire donner du temps au temps en menant huit mois de consultations.
Lorsque nous avons rencontré Martine Deprez, je lui ai dit que ça allait très vite. Elle m’a répondu que, selon elle, ça ne va pas assez vite… Je constate que, sur ce dossier, le gouvernement veut se donner un certain temps et recueillir l’opinion de tout le monde, alors que ça n’a pas été le cas pour la « table ronde logement », où seule l’opinion des lobbyistes du patronat a été prise en compte.
Face à l’offensive contre les pensions, vous affirmez la solidarité de la CGFP avec les deux grands syndicats du privé, l’OGBL et le LCGB. Jusqu’où votre organisation est-elle prête à aller dans ce soutien ?
Nous devons attendre la décision du gouvernement pour répondre précisément à cette question. En 2012, lors de la précédente réforme, nous avions manifesté avec les autres syndicats. Sur un sujet aussi important, il doit y avoir solidarité entre les syndicats, et nous attendons d’eux que cette solidarité soit réciproque. Cela dit, le point de départ, c’est l’avis du Conseil économique et social (CES) que nous avons signé avec l’OGBL et le LCGB, en juillet. Le patronat en avait publié un autre, avec un constat différent du nôtre. Les trois syndicats représentatifs sur le plan national ont donc défendu une position commune et rien n’a changé depuis. Notre opinion est qu’il ne faut pas faire de réforme maintenant, compte tenu de l’importance des réserves. Si, à un certain moment, on voit qu’il y a des problèmes, il faut en discuter et voir ce qu’on peut faire, par exemple décider d’une hausse des cotisations.
Cet avis du CES nous ramène aux divergences de vues sur le constat et les prévisions : selon les patrons, il y a urgence à agir, alors que ce n’est pas le cas pour les syndicats.
Pour le gouvernement, il sera d’autant plus facile de prendre une décision si on est déjà divisés sur le constat. Ce qui va nous intéresser dans les prochains mois, c’est de connaître le montant des réserves du Fonds de compensation : peut-être va-t-il baisser à 24 milliards, ou peut-être grimper à 30 milliards, voire plus ? On aura déjà une indication sur la direction que cela prend.
Notre opinion est qu’il ne faut pas faire de réforme maintenant, compte tenu de l’importance des réserves. Si, à un certain moment, on voit qu’il y a des problèmes, il faut en discuter et voir ce qu’on peut faire, par exemple décider d’une hausse des cotisations.
Sur les retraites, mais aussi sur d’autres dossiers, comme les conventions collectives ou le travail dominical dans le privé, le gouvernement tente de contourner les syndicats. Est-ce une remise en cause du modèle luxembourgeois du dialogue social ?
Nous sommes face à un gouvernement qui dit que le dialogue social est très important pour lui. Je peux confirmer que nous avons des entrevues, comme cela a été récemment le cas avec le premier ministre et le ministre de la Fonction publique. Je dois reconnaître que nos relations sont plutôt bonnes, que nous travaillons ensemble. Mais nous verrons bien à quoi cela va aboutir dans les prochains mois. En tout cas, discuter ne suffit pas, il faut arriver à des résultats, entendre ce que l’autre dit et aller parfois dans sa direction. Il ne suffit pas de se mettre autour d’une table pour dire ensuite : « Maintenant qu’on a bien discuté, on va faire ce qu’on veut. » Cela ne correspond pas à un véritable dialogue social.
Vous avez l’impression que c’est le cas avec ce gouvernement ?
Parfois oui. Cela dit, le Luxembourg est un pays où on peut au moins donner son opinion, dire ce qu’on pense, même si le gouvernement n’en tient pas toujours compte. Quand j’échange avec mes collègues européens à Bruxelles, je vois que ce n’est pas le cas partout. Mais comme je l’ai déjà dit, il faut que cette première phase de discussions soit suivie de négociations et de résultats. Il s’agit souvent de compromis dont aucune partie ne sort tout à fait satisfaite, mais, au bout du compte, on trouve des solutions. C’est souvent le cas au niveau de la tripartite. Négocier, c’est entendre ce que l’autre dit et réagir à ses besoins.
Au niveau de la fonction publique, deux dossiers brûlants sont sur la table. Le premier porte sur la résolution des litiges pour certains secteurs et emplois de la fonction publique, pour lesquels le gouvernement refuse le principe de la conciliation et de la médiation.
Le gouvernement estime que certaines professions, comme la police, l’armée ou la magistrature, pour ne citer que ces exemples parmi beaucoup d’autres, ne peuvent pas après un échec de négociation bénéficier de l’ouverture d’un litige sur une question liée au travail, car elles ne disposent pas du droit de grève. Le but de ce mécanisme, mis en place en 1979, n’est pourtant pas d’aboutir à une grève, mais d’obliger les parties à se mettre autour d’une table pour trouver une solution en cas de blocage. Nous n’arrivons plus à discuter sur le fond des dossiers, car on nous oppose cet argument de pure forme. Il n’y a donc aucun recours possible en cas de différend. Ce sont des droits syndicaux qui sont lésés et on ne peut pas accepter cette ligne. Lors de notre rencontre avec lui, le premier ministre Luc Frieden s’est engagé à demander une analyse sur le sujet et à revenir vers nous.
L’autre sujet porte sur les négociations salariales, qui doivent s’ouvrir prochainement. Fin 2022, vous aviez obtenu une hausse minime de 1,95 % du point indiciaire, en contrepartie de la suppression du système d’évaluation dans la fonction publique. Vous avez annoncé que vous viserez davantage cette fois. Combien allez-vous demander ?
La question est bonne, mais je ne peux pas vous donner de réponse. Notre catalogue de revendications est en train d’être finalisé et on verra bien comment le gouvernement va réagir une fois qu’on l’aura envoyé au ministre.
Concernant la masse salariale des fonctionnaires, le patronat se montre, là encore, offensif en affirmant qu’elle est trop élevée. Que lui répondez-vous ?
Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, je n’ai pas à le commenter. Si on veut des agents publics qui font du bon travail, on doit aussi leur donner un salaire décent. Je voudrais rappeler que parmi les clients de ces patrons, il y a aussi beaucoup de personnes qui travaillent pour l’État et les communes. C’est contre-productif de vouloir diviser la société entre ceux qui travaillent pour l’État et les communes et les autres. Quand je vois les sondages, je constate que les citoyens sont contents du travail et des prestations fournis par les agents publics. Une fonction publique qui fonctionne bien est une chose très importante pour une démocratie. Ce ne sont pas les profits qui comptent, mais les services rendus aux citoyens, de façon égale, sans considération sociale. Sans une fonction publique hautement performante, rien ne fonctionnerait. Ce sont aussi les entreprises qui en feraient les frais. Par conséquent, la stabilité des investisseurs serait menacée.
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