Santé : La pollution de l’air affecte aussi notre cerveau

Des chercheurs ont montré par quel mécanisme la pollution atmosphérique pouvait affecter non seulement notre santé physique, mais également nos facultés cognitives.

L’exposition aux particules fines (issues notamment de la circulation routière) provoque une perte de vitesse de traitement de l’information par notre cerveau. (FOTO: Pixabay)

On savait la pollution atmosphérique nocive pour notre santé, en particulier pour les voies respiratoires. Respirer un air pollué pendant plusieurs années peut en effet aggraver les maladies chroniques, en engendrer (comme la bronchite chronique), être à l’origine d’un cancer des poumons ou de maladies cardiovasculaires. De nouveaux travaux montrent que la pollution de l’air peut également affecter notre cerveau et jouer un rôle dans le déclin cognitif ! Les particules fines, connues sous le nom de PM2,5 (des particules dont le diamètre fait 2,5 µm – microns – ou moins) sont principalement dans le viseur. Ces particules, mélange de différentes substances chimiques issues de la combustion du bois, du trafic routier ou encore de vapeurs industrielles, contribuent au développement de maladies neurodégénératives, comme la démence, Alzheimer ou Parkinson. Mais le mécanisme par lequel elles affectent les fonctions cognitives (attention, mémoire, capacités à s’organiser, à s’orienter dans l’espace, à parler…) demeurait méconnu.

Récemment, des chercheurs des universités allemandes de Rostock et de Bonn, ainsi que de l’Université du Luxembourg, ont ouvert une nouvelle brèche vers une meilleure compréhension de ce mécanisme : le déclin des facultés cognitives pourrait être dû à une inflammation systémique, elle-même entraînée par une augmentation des monocytes (un type de globules blancs, ces cellules essentielles de notre système immunitaire), du fait d’une inflammation dans le cerveau. Il apparaît en effet que les particules fines que l’on inhale pénètrent par la circulation sanguine ou via le nerf olfactif jusqu’à la barrière hémato-encéphalique (barrière qui protège le cerveau) et parviennent à la traverser, provoquant une réaction inflammatoire locale dans le cerveau. En réponse, l’organisme, qui cherche à se défendre, multiplie les globules blancs, ce qui provoque une réaction inflammatoire plus large, systémique, laquelle entraîne des déficits cognitifs.

« Il a déjà été démontré que l’inflammation joue un rôle important dans le développement des maladies neurodégénératives. Par conséquent, l’inflammation que nous observons en réponse à la pollution atmosphérique pourrait également perturber les fonctions immunitaires dans le cerveau et ainsi nuire directement à la santé cognitive », résume le professeur Gabriele Doblhammer, chef de groupe au Deutsches Zentrum für Neurodegenerative Erkrankungen de Rostock, cité par l’Université du Luxembourg.

Vieillissement et urbanisation

L’étude, publiée dans le journal « Alzheimer’s & Dementia », a porté sur l’analyse de données de plus 66.000 personnes âgées de plus de 18 ans. « Dans notre étude, nous avons déjà observé des effets négatifs des PM2,5 sur le fonctionnement cognitif dans le groupe d’âge le plus jeune, de 18 à 39 ans. Cependant, dans ce groupe d’âge, l’effet sur l’inflammation systémique n’a pas joué de rôle, ce qui suggère que d’autres mécanismes sont cruciaux ici – peut-être sur la fonction pulmonaire ou le fonctionnement cardiovasculaire », précise le Dr Benjamin Aretz, chercheur à l’hôpital universitaire de Bonn et premier auteur de l’étude, contacté par nos soins.

La pollution atmosphérique, là aussi, pourrait aggraver un phénomène déjà préexistant. « L’apolipoprotéine E (ApoE) fournit aux cellules cérébrales des nutriments importants. Des recherches antérieures nous ont appris que le risque de maladie d’Alzheimer augmente considérablement avec la variante ApoE4. Il est probable que les personnes porteuses de ce gène soient encore plus sensibles à l’exposition aux PM2,5 », note le Dr Aretz.

Nos sociétés étant vieillissantes et de plus en plus urbanisées, comprendre le rôle de la pollution atmosphérique dans les maladies neurodégénératives est primordial pour développer des réponses appropriées et adapter les politiques de santé publique. Les plus de 65 ans représentent aujourd’hui un peu plus de 20 pour cent de la population européenne. Ils et elles devraient avoisiner les 30 pour cent en 2050. Par ailleurs, 75 pour cent de la population européenne vit dans les villes et les zones urbanisées (57 pour cent au niveau mondial). Or, d’après l’Agence européenne pour l’environnement, 96 pour cent de la population urbaine de l’UE est exposée à des concentrations dangereuses de particules fines. « Dans notre étude, nous n’avons pas mis l’accent sur une relation dite dose-réponse ou temps-réponse. Nous nous sommes concentrés sur le principal mécanisme à l’origine de ce phénomène. Cependant, d’autres recherches suggèrent que le fait de vivre dans une zone où les concentrations de PM2,5 dépassent 10 µg/m³ (la limite recommandée par l’OMS) peut être dangereux à long terme, surtout après plusieurs années d’exposition », indique le Dr Aretz. « Des études ont montré qu’une exposition de plus de dix ans à une concentration moyenne de PM2,5 de 20 à 30 µg/m³ est associée à un risque accru de déclin cognitif et de maladies neurodégénératives. Des concentrations plus élevées de PM2,5 augmentent considérablement le risque et peuvent accélérer ces effets, de sorte qu’une exposition à des niveaux de 70 à 100 µg/m³ peut avoir des conséquences observables sur la santé en l’espace de quelques années seulement. »

Prenons quelques exemples : dans la ville de Luxembourg, « les niveaux moyens de PM2,5 sont d’environ 10 à 15 µg/m³, ce qui est inférieur à la limite européenne de 25 µg/m³, mais supérieur à la ligne directrice plus stricte de l’OMS de 5 µg/m³. Les habitants de cette ville courent un risque modéré d’effets neurologiques à long terme, en particulier en cas d’exposition à vie », illustre le Dr Aretz. De toute évidence, à la campagne, où la circulation, l’activité industrielle et la densité de population sont plus faibles, les niveaux de particules fines sont moindres. « Les zones rurales présentent généralement des niveaux de PM2,5 beaucoup plus faibles, souvent inférieurs à 5 µg/m³. Le risque d’inflammation cérébrale provoquée par les monocytes et due aux PM2,5 est faible dans ces zones », confirme le chercheur. À l’autre bout du spectre, Lahore, au Pakistan, qui est l’une des villes les plus polluées au monde, présente pour sa part des niveaux de PM2,5 « dépassant souvent 100 µg/m³ ». « Les habitants sont exposés à des risques très élevés d’effets néfastes sur la santé du cerveau, même en l’espace de quelques années. Des études suggèrent que les personnes vivant dans des zones très polluées comme Lahore pourraient connaître des taux plus élevés de maladies neurodégénératives, de déficiences cognitives et d’autres problèmes de santé liés au cerveau beaucoup plus tôt dans leur vie que les personnes vivant dans des zones moins polluées », pointe le Dr Aretz.

Politiques publiques

Les auteurs de cette étude recommandent donc aux autorités de surveillance de santé publique et aux médecins de tenir compte de ces éléments et de tester l’inflammation systémique chez les patient·es, en mesurant des biomarqueurs spécifiques dans le sang (le nombre de globules blancs ou le taux de protéine C-réactive notamment), qui pourraient suggérer de potentiels troubles cognitifs, surtout dans les régions exposées aux niveaux de concentration de PM2,5 les plus élevés.

La découverte du Dr Aretz et des professeurs Gabriele Doblhammer et Michael Heneka, de l’Université du Luxembourg, permet de réfléchir davantage aux solutions envisageables pour limiter l’impact de la pollution de l’air sur nos facultés cognitives. « En théorie, il existe des options pharmacologiques efficaces pour atténuer les effets de l’inflammation systémique, comme les antioxydants, les corticostéroïdes et les anti-inflammatoires non stéroïdiens, du type ibuprofène. Toutefois, les mécanismes sous-jacents étant mal compris à ce jour, ils ne sont pas recommandés en tant que thérapie et il n’existe pas de lignes directrices pour le traitement de ce problème », souligne le Dr Aretz. Quant aux autorités, elles devraient sans surprise poursuivre des politiques plus vertes permettant de limiter l’exposition aux particules fines. « Il existe quelques politiques potentiellement prometteuses, telles que le renforcement des réglementations sur les émissions et l’instauration de valeurs limites, la promotion des énergies vertes, l’augmentation des transports publics, la mise en place de zones urbaines plus vertes, etc. Tout ce qui réduit les émissions de PM2,5 – les principaux émetteurs étant le chauffage au bois et la circulation – serait utile ! », conclut le Dr Aretz.


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