Sculpture : Pit Nicolas

De simples sculptures en terre cuite ? Techniquement, oui, mais les œuvres de Pit Nicolas présentées dans la galerie Simoncini revêtent bien des aspects qui les démarquent de leur matériau d’origine. Passage en revue d’une exposition rétrospective plus diverse qu’elle n’y paraît.

Photos : woxx

C’est tout un parcours artistique qui se trouve retracé rue Notre-Dame : Pit Nicolas a sélectionné des travaux qui remontent jusqu’à 1982, les plus récents datant de 2017. Aujourd’hui, le sculpteur luxembourgeois, âgé de 84 ans, a une activité réduite. S’il y a une constante chez lui, c’est bien la terre ; il écrit d’ailleurs sur son site qu’il a « la tranquillité d’avoir fait le bon choix, celle d’un matériau non agressif, familier, rassurant ».

Les sculptures présentées dans l’exposition mélangent un peu les époques, ce qui apporte – fort probablement de façon intentionnelle – une sensation d’unité, de continuité de la démarche artistique. D’emblée, les aspects divers que peut revêtir la simple terre cuite sautent aux yeux. Tour à tour brillante comme le bronze, sombre comme l’ardoise ou veinée comme le bois, celle-ci offre une étendue de textures qu’on n’aurait pas crues possibles de la part d’un matériau aussi commun. C’est là tout l’art de Pit Nicolas que de nourrir l’imaginaire à partir d’un réel on ne peut plus terre à terre… c’est le cas de le dire.

Si l’on prend la peine de parcourir la galerie avec la fiche descriptive en main, on peut cependant approfondir la visite en distinguant plusieurs époques dans la production de l’artiste. Au premier étage, par exemple, les grandes pièces créées dans les années 1980, constituées de plusieurs couches imbriquées de couleurs différentes, font penser à des coupes géologiques du sol. Ici, bien entendu, c’est la pierre qu’incarne la terre cuite, dans une envolée de veinules qui forment autant de figures à déchiffrer comme on déchiffrerait les nuages dans le ciel. Les titres ne seront d’aucune aide, puisque, hormis deux « Barques », toutes les œuvres de toutes les époques portent le nom de « Groupe » associé à des chiffres. Un véritable passeport pour l’imagination laissé aux visiteurs et visiteuses.

La décennie 1990 voit Pit Nicolas confectionner des pièces plus en hauteur, tels des boucliers fragiles dont la forme et la couleur donnent une illusion de bronze. Mais c’est de cette période aussi que datent les barques citées auparavant, tout en longueur et ouvragées. Le contraste entre les différents étirements dans l’espace est ici à son apogée.

Au cours des années 2000, Pit Nicolas expérimente des couleurs plus vives, moins argileuses, comme l’illustrent au rez-de-chaussée une série de petits « tableaux » et certaines pièces plus grandes qui s’autorisent des reflets bleutés. Changement dans la continuité pourtant, car le matériau reste le même. Son énergie brute demeure : les angles ne sont jamais parfaits, les surfaces jamais planes, créant une impression d’art brut de décoffrage au plus près de la matière. En ce sens, un autre aspect que la terre cuite sait rendre pourrait, au fond, être celui du béton. Décidément, quelle diversité que celle du matériau fétiche de l’artiste !

Des sculptures de dimensions plus petites émergent dans les années 2010. Lorsqu’on les regarde du dessus, on y décèle un assemblage de rectangles qui dessinent des figures géométriques ; en les observant à la même hauteur que leur piédestal apparaissent des murailles de forteresses imaginaires, le tout avec un éclat qui rappelle l’ardoise. C’est que l’artiste s’est inspiré pour les façonner de la technique du « raku » japonais. À la sortie du four, il a enfoui les pièces, plutôt que de les laisser descendre lentement en température, dans un mélange de copeaux de bois qui les prive d’oxygène en prenant feu. Le résultat est une teinte foncée très caractéristique.

C’est vers l’épure que le sculpteur tend à la fin des années 2010, pour les travaux les plus récents exposés. Certes, on y trouve toujours de la terre creusée, avec des sillons ou des vides, mais l’époque de la couleur est désormais révolue. Le travail se concentre sur la texture, dans des pièces de taille modeste, mais qui mettent en valeur les défauts des surfaces. La vie affleure de ces creux et de ces bosses qui jaillissent, qui appellent le toucher. C’est que les œuvres de Pit Nicolas sont autant d’énigmes, tant elles savent à partir d’un matériau banal suggérer l’aspect d’autres matières plus élaborées. Cette exposition est une plongée fort intéressante dans 40 années de production d’un artiste qui n’a jamais renié la terre, qu’il a façonnée inlassablement autant qu’elle l’a façonné lui.

À la galerie Simoncini, jusqu’au 29 avril.

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