Série : Que reste-t-il de nos amours ? (16/16) : « Un grand merci de tout mon cœur à toute la clientèle »

Né à Barletta (Pouilles) en 1947, Savino Daloia est arrivé en Lorraine avec sa mère vers l’âge de quatre ou cinq ans, rejoindre son père, Giuseppe Daloia, qui avait déjà émigré et travaillait dans la sidérurgie.

Photos : Paulo Jorge Lobo

Environ douze ans après son arrivée, mon père a acheté une camionnette et, quand il finissait ses tournées à l’usine, il faisait du porte-à-porte et vendait du poisson frais. Jeudi, quand je n’avais pas école, je l’accompagnais.

À partir de mes quinze ans, j’ai commencé à travailler avec lui. Avec les porte-à-porte, nous faisions aussi le marché de Longwy. Beaucoup de client-e-s venaient du Luxembourg. Alors nous avons pensé à nous établir ici. En 1973, quand j’avais 26 ans, nous avons ouvert notre premier magasin, à l’angle de la rue de Strasbourg et de la rue des États-Unis, en face de l’Electro-Auto Rainer. Nous avions une énorme clientèle. Les gens faisaient la file dehors.

Trois ans plus tard, j’ai vu qu’un beau local à l’angle de la rue de Strasbourg avec la rue du Commerce était proposé à la location. Avec mon père, on s’est dit : « On va faire quelque chose de superbe. » Lors de l’inauguration, même la télévision est venue !

Chaque personne mérite 
du respect

Nous avions une poissonnerie familiale. Toute la famille y travaillait, y compris ma soeur Cristina et ma femme Jeanne, qui était née en France de parents italiens. La clientèle l’aimait bien. Elle donnait de bonnes recettes. Et nous avons toujours eu un personnel extraordinaire.

Après l’ouverture de notre magasin, je suis venu habiter au Luxembourg, à Bascharage, à mi-chemin entre ma famille à Longwy et la poissonnerie. Quand nous vendions sur le marché de Longwy et pendant les premières années à Luxembourg, mon père et moi allions acheter la marchandise aux anciennes Halles de Paris. Après, mon frère Nicolas allait aux halles de Rungis. Nous avons toujours vendu du poisson sauvage, très frais, provenant de la pêche artisanale. Certains poissons étaient pêchés à la ligne ! Nous avons gardé la réputation.

Lundi, nous étions fermés. Ce jour-là, nous allions à la criée et rentrions mardi très tôt le matin et puis nous y retournions pendant la semaine. J’aimais mon travail et j’y ai mis tout mon cœur. J’aimais aussi ma clientèle et mon personnel. Cela me manquera. Le quartier a beaucoup changé depuis que nous nous y sommes installés. La petite école de la rue de Strasbourg, à côté de la poissonnerie, est devenue très grande, avec même une piscine. Et là où actuellement se trouvent le marchand de fruits et légumes et une boulangerie-pâtisserie, à l’angle des rues 1900 et de Strasbourg, il y avait la Fédération de football. J’aimais bien l’ambiance.

Actuellement, avec les travaux pour le tram, les gens n’arrivent pas à passer et le commerce en souffre. Il fallait du renouveau et le résultat sera beau, mais pour l’instant c’est dur.

J’aime bien le grand-duché de Luxembourg. J’ai de la famille en Italie, mais je n’y suis pas allé souvent, juste 15 jours par an, à cause de mon travail. Il était intense et dur et je l’ai fait sérieusement.

Cela me manquera

Mes relations avec les autres commerçant-e-s ont toujours été bonnes, parce que je suis quelqu’un de calme, tranquille et respectueux. Et je m’entendais bien aussi avec mon personnel et mon frère. Au passage, je tiens à remercier toute la clientèle et je veux exprimer mon regret de ne pas continuer.

Il faut respecter chaque personne qui travaille. Par exemple, je disais à mes ouvriers de placer les poubelles de telle façon que les éboueurs puissent les prendre sans difficulté. Je viens d’une famille ouvrière et suis resté pareil. Pour moi, chaque personne mérite du respect.

Le 26 février, il y a eu cessation de commerce et la Central’ Poissonnerie n’existe plus. Je pense qu’une nouvelle poissonnerie ouvrira ses portes au même endroit et j’espère que la clientèle pourra continuer d’acheter de la belle marchandise, comme toujours.

Je n’ai pas encore fait de plans d’avenir, mais j’ai deux fils, un petit-fils de presque deux ans et bientôt j’aurai aussi une petite-fille. Malheureusement, j’ai perdu ma femme il y a quelques années. Elle m’épaulait bien, tant dans la vie professionnelle que dans la vie privée. Mon métier me manquera, ainsi que les personnes avec qui j’ai travaillé et les commerçant-e-s. Je passerai dire bonjour et saluer les client-e-s que je connais.

Trois questions à 
Savino Daloia

Des regrets ?
Des magasins comme l’Économat ou Monopol. Mais, si je suis mélancolique, je suis aussi réaliste et je pense qu’il faut suivre le rythme des temps.

Votre endroit préféré ?
Je me trouve à l’aise partout.

Un vœu pour le quartier de la gare ?
Beaucoup de prospérité et de bien-être pour tout le monde.


Le quartier de la gare raconté par ses habitant-e-s

Diversité ? Danger ? Gentrification ? Pluralité ? De l’été 2019 au printemps 2020, Paca Rimbau Hernández a proposé de parcourir l’histoire et la vie du quartier de la gare, à travers des témoignages de personnes qui l’habitent, le bâtissent et parfois le subissent. Déjà en 1999 et en 2000, notre auteure avait tiré le portrait de ce quartier fascinant avec sa série « Que reste-t-il de nos amours ? »  (à retrouver dans les archives du woxx) – presque vingt ans plus tard, sa nouvelle série témoigne des mutations urbaines et sociales qui façonnent ce lieu de passage et de vie des êtres humains et de leurs histoires.


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