« Bridge of Spies », le nouveau film de Steven Spielberg coécrit par les frères Coen, est une déception. Ni vrai thriller d’espionnage ni vrai film historique, il patauge et finit sa course dans une sauce patriotique.
Jim Donovan est un avocat d’assurances new-yorkais que rien ne prédestinait à devenir un héros de la guerre froide. Et pourtant, les événements entre la fin des années 1950 et le début des années 1960 l’ont mis au centre de l’attention mondiale. C’est qu’en 1957 la CIA met la main sur Rudolf Ivanovitch Abel, un espion soviétique qui se faisait passer pour un peintre à New York. Même si Abel n’a pas pipé un seul mot de ses activités sur le sol américain, les preuves trouvées chez lui suffisaient largement à le faire condamner. Mais pour cela, il fallait un procès et un avocat. Et c’est à cause de ses expériences au tribunal de Nuremberg que le choix se porte sur Donovan – qui est d’abord réticent, mais décide tout de même d’accepter. Après avoir échappé à la peine capitale, Abel aurait dû disparaître dans les geôles américaines. Mais le destin voulait que, quelques années plus tard, les Soviétiques s’emparent de Francis Gary Powers, un pilote d’espionnage abattu au-dessus de leur territoire. Pour négocier la libération de Powers, les États-Unis envoient donc Donovan à Berlin-Est. Après une guerre des nerfs tendue entre les deux blocs, l’avocat réussit à échanger Abel contre Powers et même à faire libérer un autre Américain, le jeune étudiant Frederick Pryor, tombé dans les filets de la Stasi de l’Allemagne de l’Est.
Si l’histoire derrière « Bridge of Spies » est « vraie », la façon dont Steven Spielberg la raconte est lassante. Trop classique pour donner un sentiment d’authenticité, la mise en scène très léchée enlève au spectateur toute occasion de vraiment se replonger dans l’ambiance de la guerre froide. Une ambiance qui d’ailleurs semble susciter une certaine nostalgie cinématographique en ce moment où le monde est de nouveau en feu, mais que la situation est autrement plus complexe.
Certes, Spielberg essaie aussi de nuancer son propos et de montrer que tout n’était pas blanc aux États-Unis, comme lorsqu’il met en scène la meute qui veut voir pendre Abel ou le juge qui, uniquement parce que le mouchard soviétique pourrait devenir une monnaie d’échange un jour ou l’autre, ne le condamne pas à la peine capitale. Cela n’empêche que l’histoire de Jim Donovan est encore une fois le rêve américain typique d’un quidam qui devient un héros dans des conditions exceptionnelles. Et même s’il doit aussi batailler avec la CIA pour pouvoir négocier en sus la libération de l’étudiant Frederick Pryor, c’est tout même sur un air de patriotisme maussade que le film se termine.
Et c’est bien dommage. Surtout quand on considère que le script a été coécrit par les frères Coen, dont on peut se demander ce qui leur passait par la tête pendant la rédaction. D’autre part, il y a Tom Hanks, l’acteur supposé porter le film, mais qui donne beaucoup trop l’impression de jouer à Tom Hanks essayant d’approcher la personnalité de Jim Donovan. Son visage semble en permanence au bord des larmes et ne trahit en rien les énormes conflits intérieurs et la pression qui s’exerce sur cet homme, auquel on demande d’intervenir dans un des plus importants conflits mondiaux, ni plus, ni moins.
Donc, en somme, un Spielberg décevant qui n’arrive pas à dépasser les codes cinématographiques que le réalisateur a lui-même contribué à créer.
Aux Utopolis Kirchberg et Belval.
L’évaluation du woxx : O