Sur les planches : Les enfants

La saison du TOL commence avec une valeur sûre passée par le West End et Broadway. « Les enfants », de Lucy Kirkwood, est un huis clos étouffant dans un contexte de catastrophe nucléaire. Un texte d’abord efficace, magnifié par une distribution qui y met ses tripes.

Rose retrouve Hazel après une trentaine d’années… (Photos : Bohumil Kostohryz)

C’est désormais une recette classique pour le Théâtre ouvert Luxembourg : aller piocher dans le répertoire anglo-saxon une pièce qui a fait ses preuves et saura garantir l’intérêt d’un public qu’il faut aller chercher en permanence – et encore plus après les épisodes de confinement. L’institution de la route de Thionville a donc jeté son dévolu sur « Les enfants », de Lucy Kirkwood, intronisée en 2018 sociétaire de la Royal Society of Literature dans le cadre de la campagne « 40 under 40 ». De talent, la jeune dramaturge n’en manque pas. Elle conduit ce huis clos avec habileté, distillant les informations sur les trois personnages avec parcimonie, évoquant par petites touches le contexte post-catastrophe nucléaire de la pièce. Les dialogues (traduits par Louise Bartlett) sont un parangon de l’efficacité du « creative writing », sur la trame plutôt courante de l’élément perturbateur qui vient chambouler un quotidien bien établi. En fait, en l’absence de grain de folie dans cette conduite très classique de la narration, ce qui résonne d’abord dans l’esprit, ce sont ces lendemains qui ne chantent plus, oblitérés par la confrontation entre notre énergie atomique et les forces de la nature.

Mais que raconte donc la pièce ? Sur la côte britannique, après un raz-de-marée qui a violemment frappé une centrale à proximité du rivage – l’autrice s’est inspirée des événements de Fukushima –, Hazel et Robin, qui ont travaillé dans ladite centrale et sont désormais à la retraite, vivent une vie paisible et frugale. Robin s’occupe des vaches, fait du vin de sureau ou de panais, hors des limites de la zone d’exclusion pourtant toute proche. Hazel cuisine, téléphone à sa fille de 35 ans qui semble à peine indépendante, pratique le yoga et caresse encore des projets d’avenir. Survient alors, après une bonne trentaine d’années, leur ex-collègue Rose, déposée en taxi près du cottage du couple. Les banalités échangées pendant ces retrouvailles vont vite faire place à d’anciennes rivalités ou rancœurs, tandis que va se révéler la véritable raison de la présence de l’intruse. « Comment vont les enfants ? », demande Rose dès le début. C’est bien des enfants en général qu’il est question ici, même si l’on n’en verra pas : que leur a apporté comme destin la nucléarisation à marche forcée des décennies précédentes ? Une interrogation d’autant plus lancinante que ça y est, la catastrophe tant redoutée est arrivée.

… sous le regard de Robin, le mari de Hazel. Que veut la visiteuse ?

Distribution galvanisée

S’y ajoute celle de la responsabilité envers les générations futures : on sent chez Rose une culpabilité très profonde de n’avoir pas su prévenir l’accident, par manque de planification rigoureuse. Ce sentiment, elle va essayer de le transmettre à ses hôtes, elle qui est déjà marquée dans sa chair par les effets des radiations subies. D’ailleurs, Lucy Kirkwood aurait pu arriver plus vite à ce point culminant de la pièce, en accélérant les échanges du début. La dynamique du texte met du temps à s’installer ; heureusement, elle s’agrippe à l’esprit par les interrogations qu’elle porte, une fois les tenants et aboutissants exposés.

Le théâtre a opté pour une mise en scène collective, assistée par l’œil extérieur de Colette Kieffer. Bien entendu, on ne douterait pas de l’engagement de Véronique Fauconnet (Rose), Olivier Foubert (Robin) et Catherine Marques (Hazel) sous la houlette d’une personne qui se serait consacrée uniquement à cette tâche. Il faut néanmoins observer que cette notion de travail collectif sur les déplacements, les intonations, le rythme semble galvaniser la distribution au plus haut point. La répartition des énergies se trouve subtilement ventilée, devient quelquefois mouvante selon que l’un ou l’autre personnage quitte le plateau – l’efficacité toute classique de l’écriture de Kirkwood est ici aussi à l’œuvre en ménageant des scènes de confrontation. Les rôles habitent les comédiennes et le comédien, au point qu’on ne saurait (ou ne voudrait) distinguer une performance particulière. Et cette notion de collectif rejoint celle de la responsabilité collective devant les générations futures, en particulier pour ce qui concerne la technologie nucléaire, mais en général sur les choix qui influenceront l’avenir de l’humanité.

Une bien belle métaphore à la scène, qui recoupe celle du texte, et une excellente raison pour citer l’ensemble de l’équipe de production : Julieta Fernández offre une scénographie et des costumes à la simplicité volontaire (décroissance oblige) ; Gianfranco Celestino signe la chorégraphie qui apporte un brin d’oxygène lorsque l’ambiance devient trop toxique ; Manu Nourdin propose des lumières sobres et efficaces ; Raphaël Marques séduit par sa création sonore, notamment à la fin où le fantastique s’infiltre par les haut-parleurs. Au diapason également, Osvaldo Medina à la construction des décors, Myke Ismael à la régie et Zoe Ewen au maquillage.

Si « Les enfants » est un texte extrêmement classique sur un schéma traditionnel, qui met un peu trop de temps à faire mûrir ses thématiques, la production du TOL, par la solidarité qu’elle affiche dans sa mise en place, en tire le meilleur parti possible pour susciter la réflexion. Le nucléaire, outil nécessaire pour décarboner la production d’énergie, terrible menace militaire, technologie à abandonner plus ou moins rapidement ? Au fond, c’est aux enfants de décider. Celles et ceux de la pièce comme celles et ceux qui, en nombre, regardent avec stupéfaction, voire effarement, l’état du monde que s’apprêtent à leur laisser les adultes.

Au Théâtre ouvert Luxembourg, les 21, 25, 26, 27 et 28 octobre à 20h.

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