Syndicalisme : L’Aleba veut jouer dans la cour des grands

L’Aleba abandonne sa vocation historique de syndicat des salarié-es de la banque et des assurances pour s’ouvrir à l’ensemble des secteurs professionnels. Deux ans après avoir perdu sa représentativité sectorielle, le syndicat entend ainsi rebondir dans sa confrontation avec le LCGB et l’OGBL. Un changement qui peut aussi s’avérer indispensable à sa propre survie.

L’équipe de direction du syndicat, telle qu’elle apparaît dans le dossier de présentation de l’Aleba nouvelle version. (Illustration : Aleba)

Envoyer un coup de pied dans la fourmilière syndicale ? C’était l’intention affichée par l’Aleba ce mardi 21 mars. Face à la presse, la direction du syndicat historique de la banque et de l’assurance a signifié qu’il devient « un syndicat pour tous », c’est-à-dire ouvert aux salarié-es de tous les secteurs. Exit « l’Association luxembourgeoise des employés de banque et assurance », voici « l’Association luxembourgeoise de tous les employés ayant besoin d’assistance » : un nouveau nom quelque peu capillotracté pour un acronyme inchangé. « L’Aleba veut devenir un syndicat national… si elle ne l’est pas déjà », résume Robert Mendolia, le président de l’organisation. L’annonce intervient à un an des prochaines élections sociales, dont la tenue est fixée au 14 mars 2024.

Ce « nouveau départ » doit répondre à « un problème de démocratie et de liberté syndicale », affirme Roberto Mendolia. Il déplore une loi sur la représentativité syndicale nationale ne laissant place qu’à deux syndicats, dont il répète, tout du long de la conférence de presse, qu’ils sont politisés, sans jamais nommer le LCGB et l’OGBL qu’il vise pourtant. « Cela arrange le gouvernement, qui veut peu d’interlocuteurs face à lui, et il ferme ainsi la porte aux autres », accuse-t-il encore. Pour décrocher la représentativité nationale, un syndicat doit obtenir en moyenne au moins 20 % des suffrages lors des élections à la Chambre des salariés (CSL). Il doit aussi faire preuve d’une « activité effective dans la majorité des branches économiques du pays », cette présence étant « contrôlée sur la base des résultats obtenus par le syndicat lors de la dernière élection aux délégations du personnel », dispose le Code du travail.

Pour preuve du déficit démocratique de l’actuel système, le président de l’Aleba cite les résultats des élections des délégué-es du personnel en 2019, avec un sens appuyé de la précision : « 57 % des voix sont allées à des délégations neutres et seules 3.103 entreprises sur 4.189 ont transmis des résultats à l’Inspection du travail et des mines (ITM). Il en manque donc 1.086. » Et de s’interroger sur un ton faussement naïf : « Peut-on, dans ces conditions, dire que les deux syndicats nationaux sont vraiment représentatifs ? »

Un arrière-goût de revanche

Ce sont donc ces sans étiquette − « qui ne se reconnaissent pas dans des syndicats politisés » − que l’Aleba veut attirer à elle. En somme, un élan démocratique, porté par un Roberto Mendolia dont la sincérité de l’engagement syndical ne fait pas de doute. Pour autant, l’opération n’en charrie pas moins un arrière-goût de revanche, sinon de vengeance. Et elle pourrait s’avérer vitale à la survie du syndicat, qui célèbre ses 105 ans cette année.

Depuis les élections sociales de 2019, l’Aleba est entrée en eaux troubles. Il y a deux ans, elle s’est vu retirer sa représentativité sectorielle dans la banque et l’assurance par le ministre du Travail Dan Kersch, au motif qu’elle ne réunissait pas assez de voix à la CSL. Bien que demeurant très largement majoritaire dans le secteur, avec 47,2 % de votes favorables, l’Aleba avait raté de peu les 50 % nécessaires pour assurer sa représentativité sectorielle, selon les arguments avancés par le LCGB et l’OGBL. Dans un premier temps, Dan Kersch n’avait pas sanctionné l’Aleba, au vu d’un résultat étriqué lui permettant de conserver 4 sièges sur 8 dans le groupe « services et intermédiations financiers » à la CSL.

Source : ITM

Ses deux concurrents restaient cependant à l’affût et à la recherche de la faille. L’OGBL, qui avait rêvé de détrôner l’Aleba dans le secteur financier, avait ainsi multiplié les contacts avec l’ITM, lui demandant de rendre compte des résultats non publiés aux élections des délégué-es, ainsi qu’en témoignent des échanges consultés par le woxx.

Mais l’Aleba se piégera elle-même, le 9 novembre 2020, par la publication maladroite d’un communiqué où elle annonçait un accord de principe pour la conclusion de nouvelles conventions collectives avec les organisations patronales de la banque (ABBL) et de l’assurance (ACA). LCGB et OGBL avaient immédiatement dénoncé le cavalier seul de l’Aleba. Et avaient en quelque sorte actionné le bouton nucléaire en saisissant, comme la loi les y autorise, le ministre du Travail pour lui demander de retirer la représentativité au syndicat de la finance. En mai 2021, Dan Kersch reniait son engagement initial et retirait effectivement sa représentativité sectorielle à l’Aleba. Le coup est potentiellement mortel pour le syndicat qui, dans certaines circonstances, ne peut plus défendre ni représenter les 10.000 membres qu’il revendique.

L’OIT rappelle le Luxembourg à l’ordre

L’affaire a fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif, et celui-ci doit rendre sa décision dans les prochains jours. En attendant, l’Aleba a également porté le dossier devant l’Organisation internationale du travail (OIT), dont le comité pour les libertés syndicales a rendu un rapport qui lui est favorable. Il invite « le gouvernement à prendre les mesures nécessaires qui conviendraient, pour veiller à ce que le syndicat le plus représentatif d’un secteur puisse pleinement défendre les intérêts de ses membres, en particulier dans le cadre de la négociation des conventions collectives ». Un rappel à l’ordre, l’OIT ayant déjà adressé au Luxembourg des recommandations identiques en 2001, alors qu’elle avait été saisie par… l’Aleba. Ce serpent de mer illustre la bataille que se livrent les syndicats depuis des décennies sur la question de la représentativité. Les uns appellent à davantage de pluralité, les autres mettent en garde contre un trop grand morcellement qui affaiblirait le camp des travailleurs dans un pays à la population réduite.

En visant désormais le niveau national, l’Aleba veut non seulement sauver les meubles, mais aussi entrer dans la cour des grands. Une forme de pied de nez aux deux syndicats qui ont voulu lui faire la peau. Face à l’annonce de ce changement de braquet, l’OGBL se mure pour l’instant dans le « no comment », le LCGB restant tout aussi silencieux. À n’en pas douter, les deux centrales syndicales, fortes de plusieurs dizaines de milliers de membres, affineront leur stratégie pour réfréner l’ardeur de leur concurrent.

Audacieux, le pari de l’Aleba peut s’avérer payant avec une offre alternative à même de séduire une frange du salariat ne se reconnaissant ni dans un OGBL qui s’affiche à gauche ni dans l’héritage syndical chrétien du LCGB. Dans ce sens, le constat de Robert Mendolia sur les 57 % de voix obtenus en 2019 par des délégations neutres peut faire sens. Reste à trouver la bonne méthode pour y parvenir. Les moyens aussi, l’Aleba disposant d’une équipe restreinte en comparaison de ses concurrents. Le syndicat met en avant son expérience dans la banque dont il pense pouvoir appliquer les recettes à d’autres secteurs. Il compte sur l’élection à venir de nouveaux délégué-es pour étoffer ses effectifs.

Photo : David Mark/Pixabay

« Cette fois, nous y allons seuls »

Ce 21 mars, Roberto Mendolia a dressé lui-même une analogie avec feu la Fédération des employés privés (FEP), le grand syndicat des cols blancs dont l’Aleba fut un membre souvent turbulent. « Mais cette fois, nous y allons seuls », assure le président du syndicat, alors que la FEP s’était délitée dans les années 1970, victime de rivalités internes dont l’issue lui fut fatale. Roberto Mendolia se targue d’avoir « plein d’idées » et veut cette fois aller au-delà, en étendant progressivement l’emprise de son syndicat sur des secteurs comme la construction, par exemple. « Nous avons, à l’externe, des juristes et des avocats spécialisés dans tous les secteurs », avance-t-il. Il vante une méthode Aleba, syndicat « à taille humaine » qui apporte des solutions adaptées « aux réalités du présent », loin de toute stratégie ou accord politique…

Au rayon marketing, il promet aussi une cotisation mensuelle inchangée à 14,95 euros et une adhésion gratuite pour les moins de 30 ans, « car il faut attirer les jeunes vers le syndicalisme pour construire une société plus équitable ». Afin de promouvoir son nouveau rôle, l’Aleba a renouvelé son site internet et s’attache les services de l’agence de communication Noosphere, qui déploie notamment une campagne d’affichage mettant en évidence le jaune, la couleur du syndicat.

Sur le fond, l’Aleba milite pour le maintien de l’index, mais propose d’en « échelonner la valeur en l’adaptant aux différentes tranches salariales » en période de forte inflation. Le syndicat veut lutter « contre les discriminations et les violences sexistes en milieu professionnel » ou encore en faveur d’un « meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle », deux engagements par lesquels il ne se distingue pas de ses concurrents. Comme eux, il veut obtenir deux jours de télétravail hebdomadaire pour les frontaliers-ères, envers lesquels Roberto Mendolia n’a eu de cesse de multiplier les clins d’œil insistants au cours de sa présentation. À croire que, dans son esprit, ce sont eux et elles ces fameux neutres que son syndicat convoite tant.


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