S’appuyant sur la résonance actuelle de la farce tragicomique de Molière, le Centaure propose un « George Dandin » revisité en dystopie hollywoodienne. Une adaptation où les intentions fusent, mais où l’on se perd un peu.

Une atmosphère hollywoodienne : le fil conducteur de la mise en scène d’Anne Simon. (Photo : Bohumil Kostohryz)
Même si leur langue a quelque peu vieilli, bien des pièces de Molière restent d’une actualité criante. C’est le cas pour « George Dandin », portrait d’un riche paysan parvenu qui acquiert un titre et une respectabilité grâce à son mariage avec Angélique, aux parents nobles mais désargentés. Le désir d’ascension sociale est donc au cœur de la pièce, ce qui l’ancre tout autant dans le 17e siècle que dans notre monde contemporain. S’y ajoute, comme souvent chez Molière, une critique acerbe de l’hypocrisie des valeurs familiales et sociétales, laquelle trouve également sa place à notre époque.
Partant de ce constat, la metteuse en scène Anne Simon (assistée de Tom Dockal) prend le parti de situer son « George Dandin » dans la « suburbia » américaine des années 1950, comme elle l’explique dans sa note d’intention. On suit donc les différentes étapes de la production d’un film, de sa conception à sa projection, en passant par le tournage. Comédiennes et comédiens sont ainsi au complet dès le début, pour une séance de lecture préparatoire qui, disons-le, demande beaucoup d’attention pour entrer dans le spectacle : lecture ânonnée et non interprétée, jeux de regards entre personnages qui ne sont pas supposés figurer dans les scènes rendent l’ensemble un peu confus. D’autant que des ajouts au texte de Molière, destinés à étayer le parti pris de mise en scène, viennent interrompre le fil de la pièce.
Heureusement, tout devient plus sage après un moment, ce qui permet de mieux goûter les mots du grand dramaturge français. Quelques trouvailles plutôt malignes viennent aussi conforter la saveur moderne de la pièce : la cloison à travers laquelle Dandin et ses beaux-parents espionnent Angélique et son amant Clitandre s’efface par exemple au profit d’une perche de micro indiscrète, dans une scène pour le coup mémorable. Mais voilà, les trouvailles fourmillent un peu trop justement, avec de multiples accessoires et références. Cette haie taillée en forme humaine est-elle vraiment une allusion à « Edward Scissorhands », ou figure-t-elle la statue du Commandeur dans le « Dom Juan » du même Molière ? Il y a tant à voir et à comprendre que maintenir l’attention en permanence devient difficile.
Le spectacle part dès lors un peu dans tous les sens, au rythme de plusieurs idées par minute. De plus, les ajouts de textes n’apportent pas de réelle plus-value, que ce soit le running gag où chaque fois que la fontaine du décor est évoquée un personnage corrige en criant « Non, Molière ! », ou la publicité vintage pour des esquimaux pendant l’entracte de la séance de cinéma – même si le public apprécie le petit cadeau glacé gracieusement offert.
Du côté de l’interprétation, comédiennes et comédiens s’en donnent à cœur joie dans le contexte de cette production très énergique au demeurant. Mais l’impression qui reste après le spectacle est celle d’une succession d’images mises bout à bout. La cohérence du texte de Molière se trouve un peu éclatée, comme s’il n’était plus qu’un support à une créativité visuelle débridée. On se prend alors à avoir envie de le relire au calme, pour échapper à l’hyperactivité de cette « suburbia » en Technicolor chatoyant. Peut-être, d’ailleurs, était-ce aussi le but.