Déjà adapté au cinéma dans une coproduction luxembourgeoise pas franchement convaincante, « Les lois de la gravité », à l’origine un roman de Jean Teulé, fait halte au Théâtre ouvert Luxembourg. Une production théâtrale de qualité qui sonne juste.
Un commissariat français, quelque part en Normandie. Alors qu’il a bientôt terminé sa nuit de garde, le lieutenant Pontoise (Jérôme Varanfrain) se voit contraint de recevoir une femme (Colette Kieffer) qui s’accuse du meurtre de son mari et insiste pour être arrêtée. À l’époque, l’enquête avait conclu à un suicide. Mais elle n’en démord pas : c’est elle qui a poussé la victime, et elle a bien l’intention de ne plus se soustraire à la justice. Pourquoi justement aujourd’hui, après tant d’années ? On apprendra plus tard que, à minuit, il y aura prescription, et qu’il lui sera alors trop tard pour payer sa dette envers la société.
Commence alors un jeu du chat et de la souris d’un genre un peu particulier. Se rendant bien vite compte que la justiciable était maltraitée, tout comme ses enfants, et qu’elle a accompli en quelque sorte le crime parfait, Pontoise lui enjoint de renoncer à se rendre. Lui qui n’aspire qu’à un peu de tranquillité après une semaine au cours de laquelle se sont succédé les meurtres les plus horribles est prêt à oublier qu’elle s’est confiée à lui. « Arrêtez-moi ! », scande-t-elle cependant, alors qu’il avait cru la convaincre.
Comme s’il en faisait une affaire personnelle, le policier s’embarque dans une vaste entreprise destinée à gagner du temps et tenir jusqu’à minuit sans rédiger de procès-verbal. C’est à ce dialogue de sourds, ou plutôt à ce jeu de dupes que le spectateur est convié. Car tous les coups sont permis : elle, obstinée dans son désir de payer pour son crime, fera tour à tour usage de séduction et de violence ; lui, chevalier servant d’un autre âge qui se révolte contre ses propres désillusions, va aller jusqu’à travestir la réalité pour lui intimer de renoncer. Et les thèmes brûlants de notre société oppressante s’égrènent comme autant de perles sur un collier vénéneux : maltraitance des femmes, rêves de gosse brisés, solitude… Pour apporter une respiration à ce duo étouffant, survient de temps en temps le planton de garde (Brice Montagne), moins désabusé peut-être, mais aussi opprimé par un système dévastateur, puisqu’il a dû quitter la ferme familiale poussée à la faillite.
Il ne faut pourtant pas croire que le sérieux du propos conduise à une pièce pesante pendant une heure et demie. Teulé, secondé ici par son adaptateur Marc Brunet, sait distiller de petites perles comiques qui apaisent les tensions. Et si l’on sourit nerveusement quelquefois, certes, on se surprend quand même à regarder les deux protagonistes principaux comme embarqués dans une danse de séduction : après tout, ces deux cœurs solitaires, s’ils s’étaient rencontrés ailleurs que dans ce commissariat endormi, n’auraient-ils pas pu se plaire ?
Sur ce texte profond et précis, donc, se pose la mise en scène de Véronique Fauconnet. Ce qui frappe de prime abord, c’est le soin méticuleux apporté à la reconstitution d’un bureau de policier, confiée à la scénographe Jeanny Kratochwil. « Il m’a semblé que la meilleure manière de rendre ce huis clos était de l’ancrer autant que possible dans la réalité », confirme la metteuse en scène. « Nous nous sommes beaucoup inspirées de ce qui se fait dans les séries, et nous avons procédé à pas mal d’essais de scénographie pour que la violence qui surgit parfois ne soit pas édulcorée, tout en restant gérable pour notre petite scène. »
De fait, cette attention donnée au moindre détail rapproche le spectateur des personnages et permet l’empathie pour les deux duellistes. Le jeu de Jérôme Varanfrain et de Colette Kieffer n’y est évidemment pas étranger : très directs, ils ancrent leurs personnages à merveille dans les choix de la directrice artistique du TOL. Au diapason, acteurs, metteuse en scène et scénographe servent un texte intelligent. Et puis, le spectacle vivant, c’est toujours mieux qu’une énième série policière à la télévision, non ?