Dans « L’origine du monde », le théâtre de boulevard fricote avec l’absurde de Beckett ou Ionesco, pour le plus grand bonheur des spectateurs du TOL.
Le comédien et auteur dramatique français Sébastien Thiéry est connu pour ses pièces où les rires fusent, partant de postulats insensés ou carrément grotesques. Pas d’exception à cette règle dans « L’origine du monde » : Jean-Louis pète la forme, mais son cœur s’est tout bonnement arrêté. Son ami Michel l’ausculte et avoue sa perplexité. Sa femme Valérie, parangon de la bourgeoise bon teint des comédies de boulevard, le convainc de consulter un marabout africain. Celui-ci est catégorique : pour que Jean-Louis échappe à une mort rapide, il est impératif de remonter à l’origine de ses nombreux problèmes refoulés. Sa mission sera donc… de prendre en photo le sexe de sa mère.
Avec un tel sujet, on aurait pu assez vite tomber dans le scabreux. C’est là que l’écriture de Thiéry montre ses qualités. Frôlant la vulgarité sans jamais franchir la ligne jaune, flirtant avec la misogynie – Valérie est tout de même décrite par les deux amis comme « hystérique » – sans jamais l’embrasser, s’amusant des préjugés raciaux avec le personnage du marabout, l’auteur semble prendre un malin plaisir à écrire une comédie de boulevard « Canada Dry ». Si le goût y est et si les rires sont nombreux, celui-là est rehaussé d’un amer absurde et ceux-ci ne dispensent pas d’une réflexion salutaire.
Car, évidemment, la vieille mère (80 printemps tout de même) n’a pas du tout l’intention de se prêter à cette séance photo si particulière, quels que soient les trésors d’imagination déployés par le trio infernal composé de Jean-Louis, Michel et Valérie pour l’y forcer. Ni la contrainte, ni la flagornerie, ni le charme n’opéreront. Mais le processus ne sera pas infructueux pour Jean-Louis, puisqu’il y gagnera quelques confessions d’une mère qui, il en est convaincu, ne l’a jamais aimé. La pièce offre généreusement ses situations comiques, mais va au-delà en proposant une réflexion quasi psychanalytique sur le rapport de chacun à sa mère et sur ces secrets de famille qui peuvent, même éternellement tus, influencer des vies.
Jérôme Varanfrain, dans sa mise en scène, a choisi l’efficacité sans chichis du boulevard, et avec raison : dans un décor sobre signé comme d’habitude au TOL par Jeanny Kratochwil, c’est le texte lui-même qui transcende les codes du genre. La palette d’acteurs est diablement compétente dans l’exercice. Hervé Sogne est parfaitement maniéré dans le rôle de ce Jean-Louis qu’on imagine avoir une carrière brillante mais dont le cœur se révèle fragile. Caty Baccega reste effacée au début mais déterminante lorsque nécessaire, comme il sied à une épouse parfaite. Jean-Marc Barthélemy, l’ami recruté contre son gré, fait contre mauvaise fortune bon cœur. Quant à Marie-Anne Lorgé et Steeve Brudey, la culpabilité qui ronge l’une et les certitudes un peu charlatanesques de l’autre sont rendues avec conviction. Belle complémentarité sur scène donc.
Il n’est pas courant de voir au grand-duché une pièce où les éclats de rire se succèdent à si brefs intervalles. C’est peut-être pourquoi le rythme de la première du 5 mai a pu sembler un peu haché. Mais c’est un péché bien véniel, puisque l’on s’esclaffe sans retenue tout en réfléchissant. L’intérêt du spectacle vivant est justement dans cette adaptation permanente du rapport entre spectateurs et comédiens. Heureux donc les amateurs de théâtre qui, n’en doutons pas, se précipiteront pour voir cette pièce. Car, franchement, rire fait du bien. Surtout avec un texte intelligent.