De vrais « Moulins à paroles », ces trois femmes qui se dévoilent sur la scène du TOL dans des textes forts d’Alan Bennett. Et pour le spectateur, ces tranches de vie douces-amères resteront bien longtemps en mémoire.
Ce sont au départ deux séries de monologues, sous le nom de « Talking Heads », que le dramaturge britannique Alan Bennett a écrites pour la BBC en 1988 et 1998. Avec un succès tel que le West End s’en est rapidement emparé sur les planches… et que les textes sont désormais au programme du baccalauréat d’outre-Manche. On comprend aisément pourquoi : d’une écriture limpide et ciselée, ces histoires sont de véritables petits bijoux où le meilleur de l’humour pince-sans-rire britannique côtoie et se heurte au drame inexorable. Parfois même au détour d’une phrase, sans prévenir. À travers la vie menue de ses personnages, Bennett parle avec brio de l’humanité tout entière. La maladie, la solitude, le mal-être que l’on masque tant bien que mal, personne n’en est à l’abri : voir par conséquent les personnages camoufler leurs brisures sous un vernis comique – car on rit évidemment beaucoup, avant de passer aux larmes – fait forcément entrer certains souvenirs en résonance.
Le metteur en scène Jérôme Varanfrain a sélectionné pour le TOL trois histoires parmi les sept existantes. Dans un montage savamment dosé, il les a découpées afin que, de monologues initiaux, elles s’imbriquent et forment une pièce où trois destins s’entrecroisent. Grâce à ses changements de rythme narratifs, la tension dramatique reste à vif en permanence. Sagement, dans un décor relativement neutre de Jeanny Kratochwil, Varanfrain ne pousse d’ailleurs pas trop loin les effets de mise en scène au-delà de cet habile découpage, pour privilégier la force du texte dit par les actrices.
Et quelles actrices ! Elles parlent, parlent, parlent… Elles se régalent de ces mots si bien agencés pour briller sur scène en montrant toute l’étendue de leur palette de jeu. D’abord Catherine Marques, qui incarne une employée modèle, un peu amourachée de son patron, dont la popularité au bureau va se voir effritée à cause d’une maladie grave. Il faut saluer la transformation de cette joyeuse commère en habituée de l’hôpital, mettant sur sa détresse le fard de la gaieté feinte. Puis Colette Kieffer, qui joue une vieille fille frustrée dont l’existence n’est épicée que par l’écriture de lettres de réclamation. Elle aussi verra son destin basculer, et comprendra un peu tard que le malheur n’est pas réservé à sa petite personne. Enfin Véronique Fauconnet, qui tient le rôle d’une épouse de vicaire poussée à l’alcoolisme par le vide de son existence et la concurrence avec Jésus. Une rencontre insolite lui redonnera à elle goût à la vie, au moins un peu.
Grâce aux talents combinés d’un auteur qui sait disséquer les existences, d’une équipe de mise en scène qui sait s’effacer devant la puissance du texte et de trois formidables actrices, cette plongée dans trois vies qui basculent est un vrai plaisir théâtral, où l’on rit, l’on pleure et l’on réfléchit. De quoi ravir, on l’espère, un large public.