Le TOL conclut sa saison avec « L’Ouest solitaire », une comédie grinçante. Au menu, petites rancœurs, grandes dissimulations et l’atmosphère délétère d’une région négligée, le tout saupoudré d’une bonne dose de confrontations acerbes… et d’humour très très noir.
De son enfance dans le comté de Galway, dans l’ouest de l’Irlande, Martin McDonagh a tiré l’inspiration nécessaire à la plupart de ses pièces. « L’Ouest solitaire », c’est celui du chômage, de l’avenir bouché, du célibat forcé et de l’alcoolisme qui en est le pendant. Tout un cercle vicieux qui installe une atmosphère de déliquescence prompte à contaminer tout individu pourtant bien disposé.
Coleman (Joël Delsaut) et Valene (Jean-Marc Barthélemy) en savent quelque chose, eux qui malgré le deuil de leur père ne peuvent toujours pas se supporter et se chamaillent dans leur maison commune à propos de leur dose de gnôle ou de chips peu ragoûtantes. S’y ajoute le curé de la paroisse (Pitt Simon) qui, miné par les incessants conflits entre habitants et l’absence de perspectives dans cette région, a lui aussi trouvé refuge dans la boisson. Sans que cela gêne Girleen (Eugénie Anselin), dealeuse d’alcool frelaté qui en pince pour le clergyman cabossé.
Ce décor planté, McDonagh construit une pièce qui mêle le comique le plus hilarant (les altercations entre les deux frères qui ne se supportent plus depuis des décennies) et la tragédie la plus sombre (le taux de morts violentes du village semble terriblement élevé). Plutôt que de s’apitoyer sur le sort peu enviable de ses personnages, le dramaturge utilise leur infortune comme une fondation sur laquelle il bâtit un immeuble d’humour noir. Un regret, cependant, que les jurons et la trivialité anglaise soient si reconnaissables sous le vernis de la traduction : on n’est pas vulgaire en français comme en anglais, et si l’auteur a tenu à utiliser le parler local de son Ouest irlandais, l’adaptation (parue pourtant chez Actes Sud) aurait pu trouver une solution moins « globish ». Le liant de l’ensemble se révèle également fragile, faisant parfois penser à une succession de sketches avec un thème commun.
Heureusement, la belle énergie des comédiens et de la comédienne emporte l’adhésion du spectateur, avec des rires francs puis des gorges qui se nouent. Les engueulades et les séances de révélations défilent à un rythme soutenu, qui parfois peut laisser le souffle court. La composition de Pitt Simon, jeune curé déjà revenu de tout qui fait son possible pour ignorer son attirance pour Girleen, est particulièrement à saluer. Aux petits oignons aussi, le décor et les costumes de Jeanny Kratochwil, qui rendent l’atmosphère à la fois vieillotte et moderne (puisque cet Ouest solitaire existe toujours bel et bien) parfaitement palpable.
Facile donc pour Marion Poppenborg, la metteuse en scène, de s’emparer d’un texte énergique au possible et d’élaguer tout mouvement trop statique pour transformer le spectacle en un immense maelstrom dont on ne ressort pas indemne. Car ces secrets de famille, ces amours contrariées et ces morts quelquefois suspectes font écho dans la tête du spectateur, tel un petit diable qui essaye de faire taire la bonne conscience. Basculer dans la noirceur ou pas, telle sera l’alternative offerte le temps de la pièce. Pas la meilleure publicité pour le tourisme dans l’ouest de l’Irlande, mais une expérience immersive qu’on n’oubliera pas de sitôt.