Tunisie : À Sened, une jeunesse s’enracine là où d’autres partent

von | 18.12.2025

Dans une ville rurale de Tunisie, des jeunes font le choix de cultiver la terre plutôt que d’immigrer. La photographe française Séverine Sajous est allée à leur rencontre.

Kamel voulait étudier en France après son diplôme en agronomie, mais son visa a été refusé. Resté à Sened pour s‘occuper de sa maman, des terres familiales et du cheptel, il mise sur une agriculture durable, soutenue financièrement par ses frères partis en Europe. « Je rêve de créer une radio rurale pour convaincre les agriculteurs de Sened d’adopter des pratiques respectueuses de l’environnement. Mon champ d’oliviers bio est empoisonné par les pesticides des voisins, et si les jeunes ici comprennent l’urgence, il faut la radio pour toucher les anciens, prisonniers de leurs habitudes. (© Séverine Sajous)

Dans le sud-ouest tunisien, la terre se craquelle. Ici, la pluie se fait rare, l’eau manque, et les jeunes partent. Pourtant, à Sened, au pied de la montagne d’Orbata, une résistance silencieuse prend racine. Contrairement à d’autres régions, une génération engagée décide de rester. Après la révolution de 2011, certain·es jeunes hommes et femmes sont revenu·es de la capitale avec des diplômes en agronomie, gestion, environnement ou technologie. D’autres ont choisi de ne jamais partir. Ensemble, ils et elles ont fondé l’Association des jeunes agriculteurs (AJA), une initiative née du terrain, soutenue depuis plus de dix ans par l’AFDI – Agriculteurs français et développement international. Leur objectif : faire de l’agriculture un levier de dignité, d’autonomie et de transformation sociale. Leur combat s’ancre dans une réalité dure. À Gafsa, il tombe moins de 100 mm de pluie par an et, d’ici 2050, les nappes phréatiques pourraient baisser de 30 %. Moins de 1 % des demandes de forage sont acceptées, forçant certains à creuser illégalement des puits, à raison de 35.000 dinars l’unité (plus de 10.000 euros). Dans ce contexte, la migration semblerait le choix le plus logique. Et pourtant, chaque jour, deux trains de phosphate quittent Gafsa vers Sfax et passent par Sened, emportant avec eux l’eau du sous-sol. Une ressource vitale pour les cultures, détournée pour laver des minerais destinés à l‘exportation. Marwen, président de l’AJA et employé des espaces verts de la Compagnie des Phosphates, dresse ce constat : « Notre eau, ressource si précieuse, sert à nettoyer le phosphate, qui devient ensuite un engrais pour l’agriculture européenne. »

Face au désert, l’Association des jeunes agriculteurs a lancé un cri pour obtenir une adduction d‘eau potable en 2022, apportant un peu d’espoir à ceux qui, comme Amira, sont resté·es profondément attaché·es à leurs oliviers millénaires, comme à un membre de la famille. Ces arbres ne sont pas irrigués, contrairement à une grande partie de la production en plaine, et ne reçoivent aucun produit chimique. Leurs variétés d’olives très locales, Krish et Fougi Asli, sont très réputées pour leurs qualités et vertus exceptionnelles. (© Séverine Sajous)

À travers un photo-reportage de Séverine Sajous, la résistance prend corps. Les images du studio Naim, photos d’archives des habitant·es de Sened dont le rapport à la terre est viscéral, où les ancien·nes posaient devant des décors de la Tour Eiffel ou de Versailles, dialoguent avec les portraits actuels : jeunes visages, gestes agricoles, regards enracinés, pitbull en main. L’ailleurs fascine toujours, mais l’ancrage résiste. Kamel, recalé d’un visa pour la France, cultive des oliviers bio avec sa sœur et rêve de créer une radio rurale pour sensibiliser aux enjeux écologiques. Mariem cultive un demi-hectare de menthe douce, emploie quatre jeunes et milite pour la revalorisation du travail féminin : « On a fait passer le salaire des femmes de 10 à 15 dinars. C’est un début. » Asma, ingénieure agronome, perpétue le geste de sa grand-mère qui irriguait à la main 500 oliviers. Elle défend une agriculture transmise par les femmes, enracinée et moderne. Anis mêle savoirs anciens et outils contemporains. Il expérimente des cultures résistantes à la sécheresse, observe l’humidité sur les murs pour décider du moment des semis et anime des clubs agricoles dans les écoles. Ces jeunes ne partent pas. Ils restent et fabriquent, sous contrainte, dans l’oubli. À Sened, la terre garde la mémoire, et cultiver devient un acte.

Les oliviers souffrent de la sécheresse… L’irrigation à partir des nappes d’eau souterraine est aujourd’hui la seule option pour pouvoir se nourrir, vivre de l’agriculture et préserver la biodiversité. (© Séverine Sajous)

 

La jeunesse de Sened, autrefois et maintenant, regarde toujours ailleurs… Autrefois, se faire « tirer le portrait » par le photographe du village, c‘était avec une image de la Tour Eiffel en arrière-plan, comme un rêve… Aujourd‘hui, certains jeunes, pitbull en main, reflètent une culture occidentale. Eux aussi rêvent de Paris. Quand la migration semble impossible, un simple clic de photo devient leur passage vers l‘ailleurs. (© Séverine Sajous)

 

En Tunisie, 1 % seulement des demandes d’autorisation de forage sont acceptées chaque année. Face à cette réalité, certains agriculteurs ont pris les devants, optant pour un forage illégal, à 120 mètres de profondeur, coûtant aux alentours de 35.000 dinars (plus de 10.000 euros). (© Séverine Sajous)

 

Ryad a fait le choix de rester à Sened, honorant la promesse faite à son père de prendre soin de sa mère. Hors de question pour lui de suivre la vague d’émigration : « Si tous les jeunes de Tunisie partent, que reste-t-il ? » Sa terre, il la considère comme une seconde mère qu’il chérit tout autant. En cultivant ses oliviers, il défend l’identité amazigh et prouve que l’avenir se plante ici, et non ailleurs. (© Séverine Sajous)

 

À Sened, les trains de phosphates passent chaque jour, mais la promesse de dynamiser et développer la région reste vaine. (© Séverine Sajous)

 

Mariem, suivant les traces de sa mère, cultive un demi-hectare de menthe douce sur le terrain de son oncle. En Tunisie, par tradition, les femmes travaillent la terre comme ouvrières agricoles ou main-d’œuvre familiale invisible, sans jamais en détenir la propriété. Mariem, elle, a choisi de briser cette invisibilité. Son ambition : prouver qu’il est possible non seulement de vivre de son métier d’agricultrice, mais aussi de créer des opportunités d’emplois pour d’autres. Lors de la récolte, elle emploie quatre jeunes, rémunérant 20 dinars les hommes et 15 dinars les femmes. (© Séverine Sajous)

 

L’amour d’Asma pour la terre lui a été transmis par sa grand-mère, dont la force et la détermination ont marqué son enfance. Ce lien profond contraste avec les souvenirs de son grand-père, migrant par nécessité, qui a travaillé en Libye puis dans les mines de phosphate avant de succomber à un cancer. « Ma grand-mère gérait seule la production. Elle a planté 500 oliviers et, chaque jour, irriguait à la main, portant l’eau d’une source située à 4 kilomètres en montagne. » Aujourd’hui, grâce aux infrastructures modernes, l’eau arrive au pied de la montagne. Pourtant, les femmes, en perçant volontairement les citernes de stockage financées par l’ONU, ont choisi de préserver le lien social unique qu’offrait la corvée d’eau : un moment précieux d’échange et de partage entre femmes. (© Séverine Sajous)

 

Lorsque les nouvelles reines sont prêtes, la vieille reine quitte la ruche avec une partie des abeilles, souvent la moitié de la colonie, pour fonder une nouvelle ruche : l’essaimage, une migration naturelle. Mais Hanen fait migrer ses ruches entières à travers la Tunisie, à la recherche de fleurs pour les nourrir et produire du miel, car la terre qu’elle a héritée est privée d’eau. Quant à son petit frère, il rêve d’une autre migration : la France et les études, inchallah, comme une porte de sortie. (© Séverine Sajous)

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