A l’image de son titre sophistiqué, „De battre mon coeur s’est arrêté“ est un film qui prend mille détours pour faire oublier qu’il ne va nulle part.

Plus torturé qu’artiste: Romain Duris dans la peau d’un pianiste raté.
Avec toutes les cigarettes que fument les personnages (masculins) dans le dernier opus de Jacques Audiard, il y a de quoi ressortir de la salle de cinéma avec un cancer du poumon, rien qu’à les regarder. „De battre mon coeur s’est arrêté“ est un western urbain: nicotine, whisky, sang qui gicle, combat à mains nues, machos peu recommandables qui trompent leur femme avec des bimbos – tout est là. Et c’est drôlement rock’n’roll pour une histoire sur un pauvre type qui aimerait devenir pianiste classique.
Thomas (Romain Duris) est un agent immobilier véreux, comme son père (Niels Arestrup). Un jour, sans que l’on comprenne très bien pourquoi, le jeune homme décide de „tuer le père“ et d'“épouser“ sa mère défunte, une célèbre pianiste, en empruntant la même voie qu’elle. Il dépoussière son vieux piano, organise une audition, prend des cours, tout en poursuivant, avec de moins en moins d’enthousiasme, ses basses besognes professionnelles.
Le topo est archi-connu, mais efficace: l’être humain, corrompu par la société moderne, essaie de sauver son âme grâce à l’art. Et c’est d’autant plus poignant que l’on devine dès le début que Thomas court à l’échec. Ses doigts sont engourdis, il peine à lire les partitions, il prend du plaisir avant tout parce qu’il se fait violence. Il veut échapper à son destin, devenir un autre. Ce qui explique aussi le rythme haletant de la mise en scène, qui ne donne aucun moment de répit au public.
L’histoire est très belle. Mais Audiard a beau être un bon cinéaste et accumuler les plans époustouflants, il n’est pas vraiment conteur. Il néglige les aspects véritablement intéressants de l’intrigue pour privilégier les effets tape à l’oeil et les répliques qui tuent, mais dont on ne sait pas très bien ce qu’elles font là. „C’est une pute“, dit Thomas à son père après avoir rencontré la nouvelle fiancée de ce dernier (Emmanuelle Devos). Par amour pour sa mère décédée? Parce qu’il veut faire du mal à son père qui l’empêche de vivre sa vie? Tout ce qui concerne les relations humaines reste désespérément imprécis. Emmanuelle Devos fait ici une apparition éclair dans la peau d’un personnage intéressant, mais qu’Audiard délaisse tellement vite qu’on se demande si ses scènes n’ont pas été coupées au montage. De même en ce qui concerne l’épouse de son meilleur ami, avec qui Thomas semble vivre une histoire d’amour, mais qui s’évanouit dans la nature sans raison apparente.
A cela s’ajoute le fait qu’il est très difficile de mettre en scène la création artistique de manière crédible. Audiard n’évite pas les clichés du genre „Je joue du piano tout nu au milieu de la nuit“. Les tours de manche sont fatigants et l’on finit par se demander comment un conteur comme Clint Eastwood par exemple aurait mis en scène cette histoire, en se concentrant uniquement sur la psychologie de ses personnages et sur la force de son propos.
„De battre mon coeur s’est arrêté“ n’est pas un mauvais film, loin de là. C’est un poème visuel qui s’attarde trop sur l’accessoire et néglige l’essentiel. Les critiques français-es ont été unanimes pour encenser la prestation de Romain Duris, mais cet acteur (toujours excellent d’ailleurs) était encore mieux dans la peau de Xavier dans „L’auberge espagnole“ qu’il incarnait avec beaucoup de naturel. Chez Audiard, rien n’est naturel. Tout est alambiqué, guindé, compliqué – c’est de l’art quoi.
A l’Utopia