TONY SCOTT: Big Brother was watching you

„Déjà vu“ n’est pas un film sur une subtilité psychologique mais encore une fois l’histoire du bon américain qui tue le méchant terroriste.

On aura tout vu, même la fin de ce navet à la sauce patriotique.

Des hommes de l’U.S.Navy en permission chahutent sur les quais, des écoliers se mettent en rang, excités à l’idée de partir en excursion. Les accès au ferry s’ouvrent. La scène se passe à la Nouvelle-Orléans, sur les bords mouvementés du Mississipi – Algiers Dock, les „docks d’Alger“. Nouvelle-Orléans, Alger, plus que des noms de lieu, des avertissements pour tout occidental plus ou moins au fait des turbulences de notre monde. Et de fait lorsque la caméra s’attarde sur les visages de soldats goguenards, de femmes insouciantes, de bambins rieurs – rappelant la scène du Milk Bar dans „La Bataille d’Alger“ -, lorsque, finalement, une poupée s’échappe des bras frêles d’une douce enfant pour finir engloutie par des flots turbulents, le tout dans un ralenti à vous fendre le c´ur, l’audience retient son souffle et un murmure parcourt les rangs Jésus, Marie, Joseph, mais que va-t-il donc arriver ?

Quelques secondes plus tard une bombe déchire les entrailles du navire, arrachant ses passagers à la vie.

Vous l’aurez compris, „Déjà vu“ est cet énième film qui a pour moteur les traumatismes de l’Amérique post-11 septembre et ses fantasmes de sécurité absolue. De prime abord tout n’est pourtant pas à jeter, la mise en scène de Tony Scott („Domino“, „Man on fire“) est conventionnelle mais maî trisée. L’archi-professionnel Denzel Washington est fort passable dans le rôle de l’agent Doug Carlin – il faut dire qu’à force de jouer le même personnage depuis vingt ans il a pris le pli. Les mécréants européens qui composent, à n’en pas douter, la majeure partie du lectorat de cette publication verraient également avec un certain plaisir Jim Caviezel (le Jésus de „La passion du Christ“), le visage débarrassé de ses croûtes de sang, en fou de Dieu ultrapatriote. Enfin il n’est pas inintéressant de voir les images de la Nouvelle-Orléans après le déluge, son carré français intact mais humide et son sol péri-urbain parsemé de pavillons, que les flots charrièrent comme de vulgaires boî tes à chaussures. En somme la première demi-heure s’écoule honnêtement, sans perturber le spectateur pop-cornophage par d’inutiles surprises.

Puis vient le clou de l’intrigue. Comment Denzel Washington va-t-il s’y prendre pour coincer l’ignoble poseur de bombe? Mais de façon fort élémentaire. Intégré à une nouvelle cellule du FBI, il a accès à un appareillage top secret, qui permet d’ouvrir une fenêtre spatio-temporelle et d’observer les évènements qui se sont déroulés voilà quatre jours et six heures. Ainsi notre Time Cop et ses coéquipiers peuvent-ils, tel armés de l’´il de Dieu, pénétrer et observer l’atelier d’un criminel ou la salle de bains d’une jeune fille. Tout cela sans avoir même besoin d’être couvert par le Patriot Act, l’amendement interdisant d’espionner le passé de ses concitoyens n’existant pas encore. Il est parfois fascinant de constater à quels points certains rêves américains ressemblent à des cauchemars européens.

Mais n’oublions pas que contrairement à notre civilisation décadente, la société américaine est imprégnée par la croyance dans les forces du Bien. Et au c´ur de l’´uvre cinématographique dont il est question ici réapparaî t cette question philosophique qui depuis les Pères fondateurs anime toute réflexion américaine: un individu, isolé mais plein de bonnes intentions, peut-il changer un destin funeste? Au risque de détruire tout suspense l’on peut révéler que la réponse est: oui! Et à tous ceux qui ne se doutent toujours pas que l’intrigue de ce film est tout à fait conforme au phénomène auquel il doit son nom l’on peut même dire qu’à la fin le méchant terroriste meurt, que les passagers du ferry échappent à la mort et que Denzel Washington emballe la plus belle fille du casting. Alors : déjà vu ? Ca tombe bien, comme ça ce n’est pas la peine d’y retourner.

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Déjà vu, à l’Utopolis


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