ALCOOLEMIE: Tolérance 0,5

Le Luxembourg a rejoint la norme européenne: le taux d’alcoolémie autorisé n’est plus qu’à 0,5 grammes par litre de sang. Reste à savoir si les critiques formulées tiennent le coup au-delà du café du commerce.

– „Ils n’ont vraiment rien d’autre à faire que nous emmerder!“ – „Ce sont des hypocrites! Comment tu crois qu’ils se font élire? En buvant de l’eau devant l’ordinateur? Ben non, en faisant la tournée des bistrots et en picolant tous les jours!“ – „Ouais, et ensuite ils nous font la morale. Eux, ils peuvent bien continuer à boire, c’est le chauffeur qui les ramène!“

Sur ce, Jean-Pierre se lève et va régler au comptoir ses cinq bières, salue ses amis, prend sa voiture, sans chauffeur, et arrive chez lui, sain et sauf. Sain et sauf évidemment – il n’en a d’ailleurs pas douté une seule seconde. Légèrement au-dessus du seuil de tolérance officiel et en deçà de celui du fonctionnaire en uniforme. „C’est bon pour cette fois-ci. Rentrez chez vous et faites attention!“, lui dit le policier pragmatique, qui en a vu d’autres et qui sait reconnaî tre les „candidats“.

Tout le monde n’a pas cette chance. La conduite d’un véhicule nécessite une attention particulière, tout le monde le sait. Il y a des règles à observer, il peut en aller de l’intégrité physique d’autrui et de soi-même. On ne rigole pas avec ces choses-là. Et si l’alcool ou d’autres substances sont si populaires, c’est justement parce qu’elles altèrent la perception, qu’elles euphorisent ou mettent le consommateur dans un état second. Tout cela ne fait pas très bon ménage avec le pilotage de la meilleure amie des mâles.

0,8 grammes d’alcool par litre de sang. Jusqu’à présent, c’était la règle au Luxembourg. Depuis quelques années pourtant, l’Union européenne recommande à ses Etats membres d’abaisser ce taux à un demi gramme ou 0,2 pour certaines catégories, comme les conducteurs novices. La plupart des Etats s’y sont d’ailleurs pliés, à quelques exceptions près: dans cette liste des bons vivants, le Luxembourg y côtoie l’Irlande et Malte.

Cette exception culturelle luxembourgeoise n’est plus depuis le vote du projet de loi 5366 par la Chambre des députés jeudi dernier, portant notamment sur l’abaissement du taux d’alcoolémie autorisé. Voté par la quasi-totalité des député-e-s (hormis l’ADR et l’ancien ministre libéral de la santé, Carlo Wagner, élu de l’Est viticole), le projet de loi semblait faire consensus. Il faut noter l’étonnante évolution du DP à ce sujet, dont le ministre des transports sous la législature précédente, Henri Grethen, n’était pas favorable à un abaissement du taux. Lors d’une réunion du comité des transports intérieurs du Conseil économique et social des Nations unies en 2002, le Luxembourg fut le seul pays membre du comité à émettre des réserves quant à la recommandation d’une baisse du taux de 0,8 à 0,5 grammes. Cette position avait à l’époque amené l’Association des victimes de la route à demander une réunion d’urgence au premier ministre en vue d’obtenir des clarifications sur cette démarche solitaire.

Pourtant, les interrogations au sujet de l’efficacité de l’abaissement de 0,8 à 0,5 sont nombreuses et pas uniquement portées par l’ADR, qui sait monnayer en suffrages certains sujets, surtout ceux qui font un tabac au bar. Dans une longue prise de position de cinq pages, la droite populiste aligne les arguments en défaveur de l’abaissement et cite aussi bien le Conseil national de la sécurité routière française (CNSR), la Chambre de commerce, le Conseil d’Etat ou un papier de réflexion de la direction de la police et du procureur d’Etat.

Scepticisme

En France, une note de synthèse récente de l’Observatoire national interministériel de sécurité routière (ONISR) estime en effet que „l’abaissement du taux d’alcoolémie légal qui est souvent préconisé, n’apparaî t pas être la bonne solution aujourd’hui: c’est une mesure facile à décider mais difficile à appliquer, d’efficacité limitée et surtout qui n’apporte pas de réponse au problème principal du traitement des alcoolémies élevées“. Mais la sécurité routière française ne va pas jusqu’à s’opposer à une réduction du taux d’alcool dans le sang: elle ne fait qu’émettre des doutes quant à l’efficacité de la mesure.

L’argument relayé avec force par l’ADR selon lequel les accidents de la route ne seraient que minimalement causés par des personnes aux alcoolémies réduites (de 0,5 à 0,8 grammes) ne tient la route qu’en partie: si la majorité des accidents est en effet provoquée par des personnes aux taux d’alcool élevés (supérieurs à 1,2 grammes), il n’en reste pas moins que les taux plus bas sont à l’origine d’environ un tiers des dégâts.

Restons en France: le mauvais comportement des automobilistes hexagonaux est légendaire, mais le nombre de décès a pu être abaissé ces dernières années en raison d’une législation plus stricte. Les radars ne sont plus victimes de la vindicte de conducteurs exaspérés comme ce fut le cas au début de leur installation. A la longue, les Français-es ont appris à modérer leur vitesse et en 2006, l’ONISR constatait une baisse du taux de dépassement de plus de 10 kilomètres/heure de 35 à 15 %. Résultat: si la vitesse était la première cause de décès de la route, la conduite sous l’influence de l’alcool se place désormais en „pole position“.

Reste à savoir si les réductions de vitesse et des contrôles routiers sévères et conséquents pour les dépassements ne fournissent pas de meilleurs résultats. Si l’exotique Grande-Bretagne, par exemple, persiste à rouler du côté gauche, elle fait figure de bonne élève européenne en matière d’accidents de la route. Pourtant, cette î le qui a fait de l’ingurgitation de bières fades un sport de combat autorise un taux d’alcoolémie de 0,8 grammes. Par contre, les limitations de vitesse sont plus importantes, surtout sur l’autoroute avec un maximum autorisé de 112 km/heure. De quoi faire frissonner les fangios luxembourgeois.

Se pose alors la question de savoir pourquoi l’Etat prendrait des mesures au-dessus desquelles plane un véritable doute. Dans un avis, le Conseil d’Etat fait également partie de ceux qui expriment leurs réserves et s’appuie sur le rapport de la direction de la police et du procureur d’Etat qui „propose de multiplier les actions de dépistage systématique plutôt que d’abaisser le seuil prohibé de 0,8 g/l à 0,5 g/l, cette dernière mesure élargissant tout au plus le cercle des fautifs sans pour autant influer sur le comportement de ceux qui se rendent déjà aujourd’hui coupables d’une ivresse grave“.

Si les plus sceptiques face à l’abaissement mettent en doute cette mesure, ils n’en appellent pas pour autant à une politique laxiste. Au contraire, l’ONISR plaide en faveur d’une politique plus globale et propose ainsi une dizaine de recommandations, telles qu’une meilleure communication qui ne vise pas seulement les jeunes ou l’alcool festif, le renforcement de l’efficacité des contrôles préventifs, la mise en place d’un suivi des conducteurs fautifs, l’analyse des récidives ou encore des stages de sensibilisation spécifiques à l’alcool.

Reste le débat controversé des drogues au volant. Entendez celles qui sont illicites. La nouvelle loi reconnaî t désormais ce délit et a introduit un système de dépistage. Le Luxembourg emboî te ainsi le pas à d’autres pays. En France, l’introduction de cette mesure avait fait l’objet d’âpres controverses: l’on soupçonnait le gouvernement de prétexter de la sécurité routière pour mieux faire la chasse aux fumeurs de cannabis. D’ailleurs, le parlement fédéral canadien a rejeté, au mois de juin de cette année un projet de loi concernant les drogues au volant. L’opposition parlementaire à Ottawa avait fait front avec succès contre ce projet du gouvernement Harper qui prévoyait une lourde sanction pénale contre tout individu transportant sciemment ou non des drogues illicites dans son véhicule. De quoi vous dissuader de prendre quiconque en auto-stop.

La conduite sous l’effet de cannabis n’est certes pas plus recommandable que sous celui de la bière. Mais si au moins le ministère de la santé retrouvait le chemin de la raison en abandonnant sa politique répressive, ce dépistage des drogues pourrait être apprécié sous un angle différent.


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