La hantise de l’échec a marqué les négociations sur le mini-traité. Mais marchander sur les formes plutôt que sur le fond et passer par-dessus les têtes des parlementaires et des citoyen-ne-s européen-ne-s, ce n’est pas cela qui sauvera l’Union.
Lors de la célébration des 50 ans des traités de Rome en mars dernier, deux défis se posaient aux leaders européen-ne-s : trouver un accord sur un nouveau texte constitutionnel d’une part, rapprocher l’Europe des citoyen-ne-s de l’autre.
Le premier défi a été relevé, et un texte de compromis doit être adopté dans les heures qui viennent au sommet informel à Lisbonne. Ce texte ne répond ni aux ambitions de ceux qui, à l’instar d’Angela Merkel et de Jean-Claude Juncker, avaient promis un traité plus social, ni aux intentions de ceux qui plaidaient pour un texte fortement « allégé », comme Nicolas Sarkozy. On a surtout cédé sur la forme : la notion de constitution ainsi que le drapeau et les autres symboles européens passent à la trappe. Tout comme l’objectif de la « concurrence libre et non faussée » et l’applicabilité généralisée de la Charte des droits fondamentaux – la Grande-Bretagne et la Pologne ayant obtenu une exemption. En somme, ce compromis ne représente ni un traité plus à gauche, ni plus à droite, mais simplement un peu moins d’Europe que le texte initial – ce que regretteront tou-te-s les pro-européen-nes sincères.
Au-delà de ce regret, c’est la manière dont le compromis a été élaboré qui pose problème. Les négociations secrètes entre Etats membres ont exclu les parlementaires, notamment les parlementaires européen-ne-s. Concession dérisoire, on a laissé au parlement européen le soin de résoudre lui-même l’épineuse question de la répartition des sièges, ce qui l’a occupé ces dernières semaines. Ce procédé contraste avec celui utilisé pour l’élaboration du premier texte constitutionnel, où une Convention constituée de parlementaires avait débattu sous les regards de l’opinion publique. Certes, cette opinion publique n’était pas très intéressée par le sujet à l’époque, et le texte sorti de la Convention avait encore été fortement modifié par les gouvernements des Etats. Mais à ce qui était une démarche démocratique perfectible a succédé un procédé qui se rapproche du degré zéro de la démocratie.
Degré zéro qui sera atteint si, comme on peut s’y attendre, ce traité est ratifié sans avoir recours à des consultations populaires, sauf en Irlande. Bien entendu, le problème ne sont pas les pays comme l’Allemagne, qui déjà pour le premier texte n’avaient pas eu recours au référendum. Mais comment expliquer aux citoyen-ne-s français-es et néerlandais-es, qui s’étaient majoritairement prononcé-e-s contre le traité en 2005, qu’on ne leur demandera pas leur avis cette fois-ci ? Et même dans les pays qui avaient voté oui, comme le Luxembourg, ou dans lesquels un référendum avait été prévu, mais suspendu, comme l’Angleterre, une nouvelle consultation s’imposerait. Le prix à payer pour poursuivre la construction européenne serait donc de passer par-dessus les têtes des citoyen-ne-s.
Lors de son lancement en 2001, le projet de constitution renfermait l’idée de renforcer la légitimité démocratique des institutions européennes. Ces jours-ci, sans doute, un traité constitutionnel sera adopté – mais la légitimité démocratique se retrouvera au plus bas.